Le blog des éditions Libertalia

Du fond des océans les montagnes sont plus grandes, dans CQFD

samedi 8 novembre 2025 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans CQFD, octobre 2025.

Abysses au pays des merveilles

Invitée à documenter le travail de scientifiques explorant les fonds marins, Corinne Morel Darleux en a tiré un petit livre aussi révolté que vivifiant : Du fond des océans les montagnes sont plus grandes. Alors que les océans sont saccagés par les activités humaines, elle livre un plaidoyer vibrant pour leur sauvegarde. Plongée sous-marine.

Le fond des océans ? Et pourquoi donc ?Le milieu naturel que l’essayiste et romancière écologiste Corinne Morel Darleux plébiscite dans plusieurs de ses livres est a priori fort éloigné de ce terrain d’étude : les forêts. Du fond des océans les montagnes sont plus grandes (Libertalia, 2025), commence d’ailleurs par leur rendre hommage : alors que « l’espace sauvage n’occupe plus qu’un petit quart de la superficie de la terre […] contre 85% il y a un siècle », les forêts constituent « l’une des dernières frontières modernes de l’inexploré ».
Alors pourquoi ce changement d’environnement ? C’est simple : il existe des forêts sous-marines. Formées d’éponges, de gorgones, de coraux ou de mollusques, elles servent de « pouponnières à la biodiversité sous-marine ». La boucle est bouclée : altitudes positives ou négatives, c’est kif-kif. Logique si on remonte le temps : il y a deux cent millions d’années, le Vercors si cher à l’autrice était ainsi « habité de coraux et de planctons, avant que l’Afrique et l’Europe ne se percutent et forment le soulèvement des Alpes ». « Je ne suis pas plus biologiste que navigatrice », prévient dès l’entame Corinne Morel Darleux. Elle invite donc celui ou celle qui la lit à découvrir le milieu sous-marin et ses forêts en même temps qu’elle. L’aventure commence quand le programme d’exploration Under The Pole l’invite à bord de son navire Why. Au programme : un mois au large du Honduras, en compagnie de scientifiques passionnés par les abysses. Plus précisément : les « zones mésophotiques », situées entre moins 30 mètres et moins 200 mètres sous la surface. Immergée dans un quotidien fait de « gorgonomètres », de « propulseurs sous-marins » ou de « scaphandres à circuits fermés », elle s’émerveille de ce milieu naturel si inconnu de l’homme. En miroir, elle vilipende autant ces paquebots de croisière géants et ultra-polluants aperçus à l’horizon que les pratiques de pêche intensive, notamment celle dite du « chalut », qui racle les fonds « jusqu’à l’os ».
Au spectacle du déni des entreprises et des politiques refusant toute mesure contraignante pour protéger l’espace marin, l’autrice s’étrangle : « Combien de temps pensent-ils, tous ces gens, que ça va pouvoir durer, les bulldozers, les chaluts, les bétonnières, les abatteuses ? Sérieux, ils attendent juste que tout soit mort ? » Un constat auquel répond cette révélation : « Notre ancêtre ressemblait vraisemblablement à un ver aplati de quatre centimètres de long nommé Pikaia gracilens. » Tout s’explique : l’homme est un vermisseau, en beaucoup moins mignon.

Émilien Bernard

Du fond des océans les montagnes sont plus grandes, dans Bibliothèque Fahrenheit

samedi 8 novembre 2025 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié sur le site Bibliothèque Fahrenheit, le 6 octobre 2025.

Corinne Morel Darleux, embarquée sur le Why, voilier affrété par l’organisation Under The Pole, spécialisée dans les expéditions scientifiques en mer et les plongées profondes, relate minutieusement ses impressions de voyage et les réflexions que celui-ci lui inspire. Son journal de bord est une invitation à la découverte des « forets animales marines », formées par les coraux, « un des rares espaces encore inexplorés du XXIeı siècle ». Plongée en eaux profondes.

Au large du Honduras, près de l’île du Roatan, elle s’initie à la navigation, explore les récifs, avec masque et tuba, et surtout, collecte les témoignages de ses co-équipier·es qui explorent la zone mésophotique, située entre la surface et les grands fonds, grâce aux propulseurs sous-marins et aux scaphandres à circuits fermés qui leur permettent de descendre à plus de cent mètres. En documentant cet environnement inconnu et intrigant, les menaces qui pèsent sur lui et la richesse biologique qu’il abrite, elle souhaite transmettre sa fascination et son souci, par un pendant littéraire au manifeste mésophotique en cours de diffusion. « On ne défend bien que ce que l’on appris à aimer, il nous appartient de faire connaître ce monde au nom compliqué, de créer de la connaissance et de l’attachement aux promesses qu’il recèle, et d’en faire un symbole dont nous serons les sentinelles. » Elle alerte contre les dégâts irréversibles de la pêche en eaux profondes : « Aujourd’hui, 86 % des eaux européennes dites “protégées” sont chalutées, c’est-à-dire très concrètement que des machines gigantesques raclent le fond des océans, arrachant la canopée, les jardins, les clairières, tailladant les gorgones et fauchant aveuglément mollusques et crustacés, chevreuils marins, sangliers océaniques et écrasant les mignons troglodytes dans leurs tanières. » « Le prix à payer pour pouvoir manger de la langoustine », comme l’affirme sérieusement Emmanuel Macron ? Vraiment ?
Réminiscences littéraires (du Bateau-usine à Moitessier, toujours), anecdotes (des baignades nocturnes dans un « nuage de plancton luminescent » aux scènes quotidiennes sur le Why, ponctuées d’échanges avec l’équipage) et confidences scientifiques (du nom du bébé tortue : le tortillon, au point commun des femmes avec quelques rares autres mammifères, dont cinq espèces de cétacées à dents : la ménopause) s’enchaînent et finissent par former un reportage incarné, sensible et édifiant. L’enthousiasme et l’émerveillement de Corinne Morel Darleux, ses préoccupations et sa curiosité, sont totalement contagieux. Elle n’a rien perdu de son sens de l’introspection, ni de sa grande préoccupation pour le monde tel qu’il va (mal).

Ernest London

Du fond des océans les montagnes sont plus grandes, dans Vert

samedi 8 novembre 2025 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Vert, le média qui annonce la couleur, le 17 octobre 2025.

L’autrice Corinne Morel Darleux explore les forêts marines

L’ère obscure. L’essayiste et romancière a pris part à une expédition scientifique au large du Honduras. Dans son nouveau livre, elle raconte son mois passé à bord de la goélette Why, ses rencontres avec des « poissons trompettes » et autres « mérous célestes » et, plus largement, sa découverte des forêts animales marines. Un voyage de l’ombre à la lumière.
Ceci n’est pas juste un livre, c’est un « récit mésophotique ». Méso quoi ? La zone mésophotique est cette partie de l’océan située entre 30 et 200 mètres de profondeur, où les rayons du soleil ne percent presque plus. Mais suffisamment pour abriter une très riche biodiversité.
Dans Du fond des océans les montagnes sont plus grandes (octobre 2025, Libertalia), l’autrice Corinne Morel Darleux nous emmène à la découverte de cet espace mystérieux, largement inconnu, et pourtant menacé par les activités humaines. Elle embarque ses lecteur·ices à bord du Why, le bateau d’expédition du programme d’exploration sous-marine Under The Pole, à l’occasion d’une mission sur l’île de Roatán, au Honduras.
Sous l’eau, on découvre des paysages d’une richesse infinie, des déserts, des montagnes et, surtout, des forêts. Elles sont peuplées de « poissons trompettes », de « mérous célestes » et de « cuboméduses ». Autant d’habitants des « hautes profondeurs », peu étudiés par les scientifiques, qui risquent de s’éteindre en silence. Canicules marines liées au réchauffement climatique d’origine humaine, pêche au chalut de fond et potentielle exploitation minière des fonds marins, les menaces qui planent sur ces écosystèmes sont protéiformes.

Enclave libertarienne et « machine de l’enfer »

À la surface, le spectacle n’est pas plus réjouissant. L’autrice de Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce (2019, Libertalia) nous ouvre les portes de Prospera, enclave libertarienne totalement privée située sur l’île de Roatán. Là, des millionnaires fans d’Elon Musk parlent vie éternelle et cryptomonnaies. Corinne Morel Darleux évoque aussi l’Icon of the seas, l’un des plus gros paquebots du monde, qui lève régulièrement l’ancre dans les environs. Une « machine de l’enfer » de 250 800 tonnes, propulsée au gaz naturel liquéfié – une énergie fossile.
Pourtant l’espoir est là. L’équipage du Why a collecté de précieux échantillons pour améliorer notre compréhension de la zone mésophotique. Si l’adage dit vrai, on protège mieux ce que l’on connaît. En attendant, on « protège les gros bonnets et pas les petits poissons ».

Antoine Poncet

Du fond des océans les montagnes sont plus grandes, sur Radio Oloron

samedi 8 novembre 2025 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Du fond des océans les montagnes sont plus grandes chroniqué par Cédric Laprun sur Radio Oloron.

Rirette Maîtrejean dans Le jeune Victor Serge - Le Monde des livres

vendredi 31 octobre 2025 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans Le Monde des livres, le 30 octobre 2025.

Rirette Maîtrejean,
une certaine idée de la rébellion et de l’émancipation

Claudio Albertani consacre de belles pages du Jeune Victor Serge à cette militante libertaire et féministe qui fut la compagne de ce dernier dans les années 1910. 
L’anarchisme individualiste, ce courant où Victor Serge a fait son éducation politique, s’est notamment distingué par le rôle-clé que les femmes y ont joué. Des femmes « qui ont réfléchi, écrit et participé à des expériences de vie alternative », note Anne Steiner dans son beau livre intitulé Les En-dehors. Anarchistes individualistes et illégalistes à la « Belle Epoque » (L’Échappée, 2008). Parmi celles-ci, la plus éminente et la plus attachante est sans doute Rirette Maîtrejean.
Cette militante libertaire n’est pas une inconnue. Quiconque s’intéresse à l’histoire de l’anarchisme a entendu parler d’elle. Ses souvenirs ont été publiés par les éditions bretonnes La Digitale. On peut même entendre sa voix solide et émue dans un podcast de France Culture (« Rirette Maîtrejean, l’insoumise », 2020). Mais le livre de Claudio Albertani apporte néanmoins un éclairage nouveau sur cette figure importante, qu’on présente trop souvent comme « la femme de Victor Serge », alors qu’elle fut bien plus que cela.

Un vigoureux esprit critique

C’était d’abord une intellectuelle comme le mouvement ouvrier pouvait jadis en former. Née en 1887 dans une famille de Corrèze où l’on travaille la terre de génération en génération, Anna Henriette Estorges est la fille d’un maçon qui tient à ce qu’elle étudie. Quand il meurt, celle qui rêve de devenir institutrice doit renoncer. Plutôt que de se marier, comme sa mère le lui conseille, cette petite brune au regard sagace préfère monter à Paris et vivre sa vie. Elle n’a pas 17 ans, connaît la précarité, gagne quelques sous en faisant de la couture.
Très vite, la jeune provinciale fréquente les universités populaires et divers lieux où les ouvriers politisés organisent des conférences sur les sujets les plus divers. C’est là qu’elle se lie d’amitié avec des anarchistes. Séduite par ce milieu, la jeune révoltée manifeste d’emblée un vigoureux esprit critique, prononçant une « causerie » sur le thème « le préjugé de l’antipréjugé », où elle raille ses nouveaux camarades et leur prétention à être débarrassés des idées reçues… Elle-même rétive aux conventions, elle est enceinte d’un autre quand elle rencontre Louis Maîtrejean, un sellier anar qui devient le père de son deuxième enfant. Son mari, aussi, mais pas pour longtemps : « Nos cerveaux ne se rencontraient pas. Toute conception un peu élevée lui donnait le vertige », constate-t-elle.
Désormais journaliste de combat, engagée pour la justice sociale et l’égalité des sexes, elle croise une première fois la route de Victor Serge. Mais elle le trouve d’abord hautain, guindé, un peu ridicule : « Il me déplut souverainement. Quel poseur !, fis-je. » Pourtant elle revoit bientôt celui qui signe « Le Rétif » dans l’anarchie, publication dont ils vont bientôt assurer la direction. Aussi fauchés l’un que l’autre, ils se baladent au jardin du Luxembourg, se réchauffent dans une mansarde de la rue Tournefort, tombent amoureux en lisant la poésie de Villon.
Claudio Albertani consacre de belles pages du Jeune Victor Serge à cette période où les deux militants forment maintenant un couple. Il les décrit soudés dans l’épreuve, en 1912, au moment où on les accuse d’être les intellectuels de la « bande à Bonnot ». Celle que la presse surnomme « la Claudine anarchiste », à cause de sa mise élégante, de sa coupe au carré et de ses cols Claudine, est acquittée (après de longs mois passés derrière les barreaux). Serge, lui, est condamné à cinq ans de prison, et c’est sous bonne escorte, en 1915, que les amants militants devront célébrer leur mariage. « Profitez du soleil, des fleurs, des beaux livres, de tout ce que nous aimons ensemble… », écrit le détenu.

Anarchiste toujours

Malgré la vaillance de Rirette, présente et solidaire, leur couple ne survit pas à ces années douloureuses. Chacun poursuit la lutte de son côté. Lui à Barcelone puis à Petrograd, où il rallie la cause bolchevique. Elle à Paris, anarchiste toujours. En 1931, quand Victor Serge publie Naissance de notre force, elle considère que ce roman donne une image faussée de ce qui fut leur combat « individualiste » commun. Dans La Revue anarchiste, elle écrit qu’il fait montre « d’une sécheresse de cœur, d’un pouvoir d’oubli invraisemblable ».
Jusqu’à sa mort, Rirette Maîtrejean sera fidèle à une certaine idée de la rébellion et de l’émancipation. « L’esprit est toujours l’esprit. Pour moi l’anarchie est une manière spirituelle de vivre. Ça continuera. Nos rêves ne seront pas perdus », dira celle qui travailla longtemps comme correctrice dans la presse, où elle devint l’amie d’Albert Camus. L’insurgée mourra au milieu de ses livres et de ses chats, en juin 1968, en pleine révolte de la jeunesse.

Jean Birnbaum