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lundi 6 janvier 2025 :: Permalien
Publié dans Libération, le 26 décembre 2024.
Avec humour, l’historienne corrige certains contresens historiques sur la figure féministe célébrée dans les combats post-#Me Too actuels.
Voici un petit livre courageux. Il a été inspiré à l’historienne Michelle Zancarini-Fournel par l’omniprésence de la figure de la sorcière dans les combats féministes actuels. L’« insurrection féministe devenue visible en 2017 avec #MeToo » s’est en effet accompagnée d’une célébration inédite des sorcières, dont rien ne témoigne mieux que l’immense succès public du livre de Mona Chollet, Sorcières, vendu à 400 000 exemplaires depuis 2018.
Sorcières était sous-titré « la puissance invaincue des femmes ». Le livre a lui-même été suivi de la promotion des « femmes puissantes », pour reprendre le titre d’une émission de radio et d’un livre de la journaliste Léa Salamé. Or, relève Michelle Zancarini-Fournel, c’est un contresens historique : les femmes qui ont été condamnées pour sorcellerie, dans l’Europe des XVe et XVIIe siècles, étaient tout sauf des femmes puissantes. C’étaient « des victimes de querelles de voisinage, de dénonciations et d’arrestations débouchant sur l’aveu, sous torture, du crime de sabbat ».
Légende.
Pire, la relecture féministe de l’histoire de la sorcellerie (histoire bien documentée et depuis longtemps) a conduit à envisager les bûchers des Temps modernes comme le plus grand « féminicide » de l’histoire. A la suite de la militante étasunienne Matilda Joslyn Gage, qui a avancé ce chiffre à la fin du XIXe siècle, on continue parfois à parler de 9 millions de morts – là où les spécialistes oscillent entre 40 000 et 70 000 victimes (ce qui est bien assez suffisant pour s’indigner). Et on oublie que les hommes représentaient alors un quart des condamnations.
Ces manquements à la connaissance du passé sont-ils si graves ? Ne pourrait-on pas penser que, si la figure de la sorcière est utile à l’insurrection féministe, il serait contre-productif de venir corriger les discours militants d’aujourd’hui sur la légende des sorcières ? Michelle Zancarini-Fournel, déjà coautrice avec Bibia Pavard et Florence Rochefort d’une remarquable Histoire des féminismes (La Découverte, 2020), répond nettement : pas question.
Pas question de fonder nos combats d’aujourd’hui sur une méconnaissance du passé. Patiemment, l’historienne rappelle ce que fut la sorcellerie aux Temps modernes et de quelle façon, à partir du XIXe siècle, les sorcières ont fait l’objet d’un processus d’héroïsation. Avec une énergie et un humour bienvenus, elle pointe les innombrables erreurs de celles et ceux qui, à l’image de la philosophe italienne Silvia Federici, ont proposé des théories générales des sorcières, sans s’embarrasser « de détails dans l’opération historique ».
Pourquoi ? Michelle Zancarini-Fournel souligne que cette négation de l’histoire a de lourdes conséquences : « Place nette est ainsi dégagée pour introduire un discours général avec une image négative et dégradante pour les femmes, fondée sur les fantasmes, l’imagination et les élucubrations des dominicains allemands qui publient en 1486 un manuel inquisitorial justement intitulé le Marteau des sorcières. Il y eut dans des théorisations postérieures, comme celle de Silvia Federici (Caliban et la sorcière), une forme d’assimilation entre le contenu des écrits des inquisiteurs – comme s’ils représentaient la vérité historique – et la réalité des actions des femmes et des hommes accusés de sorcellerie. »
Légitimité.
On ne peut qu’applaudir et soutenir l’historienne. Si certains en venaient à l’accuser de jouer ici contre son propre camp féministe, on fera valoir ceci : nous nous scandalisons à juste titre des manipulations de l’histoire qui, aujourd’hui, concernent très majoritairement la droite de l’échiquier politique, depuis le parc d’attractions du Puy-du-Fou jusqu’aux essais nationalistes d’Éric Zemmour. Quelle serait notre légitimité morale si, pour mener des combats autrement vertueux, nous usions des mêmes procédés ?
Sylvain Venayre
lundi 6 janvier 2025 :: Permalien
Publié sur le site Ballast, le 27 décembre 2024.
Depuis quelques années, la révolte des Penn Sardin de Douarnenez connaît un regain d’intérêt dans les milieux militants et même plus largement. Ces ouvrières des conserveries où l’on met les sardines en boîte se sont mises en grève en novembre 1924 pour demander une augmentation de salaire et de meilleures conditions de travail. La lutte est rude et le patronat impitoyable. Elles sont appuyées par le maire communiste de la ville, Daniel Le Flanchec. Jusqu’à Paris, leur lutte suscite l’engouement. La CGT-U envoie Charles Tillon et Lucie Colliard les appuyer. Elles finissent par gagner et défaire le patronat. Cette histoire est racontée dans Une belle grève de femmes d’Anne Crignon. Dans Douarnenez, les références au mouvement fleurissent. Un siècle plus tard, Tiphaine Guéret, journaliste indépendante collaborant avec CQFD ou encore Panthère première n’a pas voulu « laisser le compteur bloqué sur le triomphal hiver 1924 et se satisfaire de la foklorisation de la grève ». Si la désindustrialisation a causé la fermeture de nombre de conserveries, il en reste encore trois à Douarnenez, dont deux de dimension industrielle : la maison Chancerelle et Petit Navire. L’autrice a décidé d’aller à la rencontre des travailleuses de ces usines, désormais reléguées dans la zone industrielle de la ville, loin du port. En effet, ce sont encore très majoritairement des femmes qui travaillent au conditionnement à la chaîne des sardines et autres poissons. La division genrée du travail n’a guère évolué depuis le début du siècle. Parmi elles, les intérimaires sont nombreuses, tout comme les femmes exilé·es, venues en quête de travail à Douarnenez. Si l’ambiance révolutionnaire et la solidarité ouvrière semblent parfois un souvenir lointain, il suffit d’une nouvelle grève en mars 2024 pour réveiller leur souvenir. Et c’est là le cœur du travail de Tiphaine Guéret : montrer que les ouvrières des conserveries ne sont pas qu’une image révolutionnaire en noir et blanc granuleux, mais qu’elles sont encore là aujourd’hui, toujours debout.
L.
lundi 6 janvier 2025 :: Permalien
Publié sur le site Ballast, le 26 décembre 2024.
Dans ce petit livre, Michelle Zancarini-Fournel, historienne bien connue pour ses travaux consacrés à l’histoire des femmes et du féminisme, nous offre une synthèse des représentations et des discours tenus sur les sorcières au cours des derniers siècles et jusqu’à la période contemporaine, notamment dans les courants écoféministes. L’occasion pour elle, en s’appuyant sur les connaissances historiques nombreuses dont nous disposons aujourd’hui sur la persécution des sorcières et sorciers à l’aube des temps modernes, de critiquer l’image d’Épinal qui s’est imposée ces dernières années dans un certain nombre de milieux militants, notamment à la suite des publications de la sociologue italienne Silvia Federici (Caliban et la sorcière) ou de la journaliste française Mona Chollet (Sorcières). Non, les sorcières n’étaient pas des « femmes puissantes », mais « des victimes de querelles de voisinage, de dénonciations et d’arrestations débouchant sur l’aveu, sous torture, du crime de sabbat ». Et contrairement aux chiffres fantaisistes de neuf millions de femmes tuées avancés par Federici, qui affirme que « la chasse aux sorcières a été le cas de persécution de masse le plus important de l’histoire » jusqu’au XXe siècle, la fourchette actuellement retenue par les historiens se situe plutôt entre 40 000 et 70 000 victimes, « chiffre considérable et abominable », mais « qu’il est inutile de centupler », nous dit Zancarini-Fournel. On a pu penser pendant longtemps que les réécritures idéologiques de l’Histoire étaient l’apanage de l’extrême droite. Cet ouvrage nous permet de comprendre qu’elles sont également monnaie courante à gauche. Si l’extrême droite tend généralement à mythifier le passé de son groupe d’appartenance revendiqué, certaines franges de la gauche vont plutôt avoir tendance à mythifier le passé lointain d’autres sociétés, ou encore celui de fractions rebelles ou subalternes (réelles ou supposées) de leur propre société. À cet égard, saluons l’initiative et la mise au point de Michelle Zancarini-Fournel, qui nous rappelle qu’une politique de l’émancipation devrait également toujours s’accompagner d’une éthique de la lucidité et du respect des faits et données archéologiques, historiques ou anthropologiques.
P.M.
mardi 10 décembre 2024 :: Permalien
Rami Abou Jamous, auteur du Journal de bord de Gaza, était l’invité de David Dufresne dans son émission Au poste, le lundi 9 décembre 2024.
« Longtemps, il fut fixeur pour journalistes occidentaux. Et puis la guerre, les circonstances : Rami Abou Jamous a dû prendre la plume. Pour Orient XXI, il tient un journal de bord bouleversant, que les belles éditions Libertalia publient ces jours ci en recueil. Visio, audio ? On ignore comment on pourra réaliser ce duplex ce matin, si le soleil pourra chauffer les panneaux solaires, et le net arriver. Qu’importe. Rami sera là, depuis l’enfer. Un échange exceptionnel, n’en doutons pas. »
mardi 10 décembre 2024 :: Permalien
Publié dans Le Canard enchaîné du 4 décembre 2024.
Poser la question : « Qu’est-ce qu’un pamphlet ? » revient en quelques sortes à demander : « Qu’est-ce qu’un chien ? » On reconnaît bien là Orwell. Dans sa lumineuse préface (inédite en français) à ce recueil, il constatait qu’on confond souvent le pamphlet avec « le manifeste, la chronique, le libelle religieux, la lettre circulaire », comme on met dans le même sac chien, loup et chacal. Et de donner sa définition : « Le pamphlet est un court texte polémique, imprimé sous forme d’opuscule et visant un large public. » Et de l’affirmer : tremper dans sa plume dans le vitriol pour informer, moquer, dénoncer, défendre ses idées, c’est un art !
Le recueil composé par Reginald Reynolds et paru à Londres en 1950, rassemblait des écrits de combat anglais publiés avant 1789. L’éditeur Philippe Mortimer y a ajouté des textes publiés jusqu’à la veille de la « grande boucherie impérialiste » (1914), qu’il a généreusement traduits, annotés, présentés. Si l’on retrouve avec plaisir des pamphlets connus, comme la fameuse Modeste proposition de Swift ou la Ballade d’Oscar Wilde, on multiplie les découvertes : auteurs hauts en couleur comme Abiezer Coppe ou John Thelwall, morceaux luddites, chants de révolte signés Shelley, etc.
Une leçon de style et de colère d’une « implacable actualité ».
[JLP]