Le blog des éditions Libertalia

Tout pour tous ! dans La Décroissance

mardi 15 juillet 2014 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Article publié dans La Décroissance, juin 2014.

Escargot mexicain

Dans notre n° 96 (février 2013), Majid Rahnema montrait en quoi la décroissance pouvait s’inspirer de la rébellion menée par les zapatistes au Mexique. Deux ouvrages récemment publiés permettent d’approfondir cette analyse. Le premier, une courte synthèse intitulée Tout pour tous !, fournit une bonne introduction pour se familiariser avec la longue histoire de l’EZLN (armée zapatiste de libération nationale) et comprendre le mode d’organisation des territoires autonomes du Chiapas, où s’édifie une « alternative concrète au capitalisme ». L’auteur, Guillaume Goutte, montre que « si le zapatisme n’est pas “importable” en France, il a de quoi nourrir nos luttes et les analyses et réflexions politiques qui les animent ». La couverture, représentant un escargot (l’un des symboles de l’EZLN) au poing serré, devrait interpeller les objecteurs de croissance…

Le second livre, Adieux au capitalisme, est signé par l’historien Jérôme Baschet, grand connaisseur du Chiapas et auteur de nombreux ouvrages de référence sur le sous-commandant Marcos et la révolte indienne. S’il s’attarde lui aussi sur l’expérience zapatiste, « l’une des plus remarquables “utopies réelles” mises en œuvre actuellement à travers le monde », le propos de cet ouvrage va bien au-delà des frontières du Mexique. Il offre une critique globale du capitalisme, ce « système humanicide », et esquisse des pistes pour organiser une démocratie radicale sans État, sortir de l’économie et construire l’autonomie. Certes, quelques passages du texte sont susceptibles de froisser les critiques de la technologie que nous sommes, comme celui-ci – où l’influence de l’André Corz des années 2000 se fait sentir :
« On ne peut nier toutefois qu’il [le capitalisme] développe, en même temps que des effets destructeurs, des potentialités techniques susceptibles d’être positives : énergies renouvelables induisant un rapport non déprédateur à l’environnement, technologies numériques permettant l’essor de formes de production et d’échange fondées sur la gratuité et la coopération. Il se peut que le futur postcapitaliste soit déjà là, en germe. »
Mais dans l’ensemble, ce livre résonne avec le projet de la décroissance. « Combattre le capitalisme, c’est d’abord lutter contre les normes de la société marchande en nous », écrit Jérôme Baschet, qui appelle à se défaire de la dépendance à la consommation, à abandonner la course à la production pour la production, à appliquer les vertus de modération, d’entraide et de partage.
Sans tomber dans un angélisme béat laissant croire à une insurrection inéluctable et sans fournir un programme clé en mains, Adieux au capitalisme ouvre des perspectives créatives pour sortir du fatalisme mortifère.

P.T.

« L’État m’a tabassé, il a fait son travail »

mardi 8 juillet 2014 :: Permalien

Sociologue, auteur de L’Ennemi intérieur (La Découverte, 2009), Les Marchands de peur (Libertalia, 2012), Le Théorème de la Hoggra (Bboykonsian, 2012), La Domination policière (La Fabrique, 2012), Matthieu Rigouste est aussi un de nos vieux copains. Il a été tabassé par la police toulousaine il y a un peu plus d’un an. Il lui aura fallu tout ce temps pour accepter de témoigner par écrit.

Extrait :

« J’ai passé trois jours à l’hôpital, on m’a opéré le poignet (fracture et luxation). On y a posé une vis que je garderai toute ma vie et qui me handicape. On a soigné les multiples ecchymoses et plaies sur toute la tête et les côtes. Les super-Dupont m’avaient aussi percé le tympan comme l’a relevé le médecin légiste qui m’a ausculté à la sortie de l’hôpital. On m’a reconnu soixante jours d’ITT à l’hôpital, transformés en trois jours “ au sens pénal du terme ” par la médecine “ légale ”.
Avec mes proches, nous avons d’abord hésité à porter plainte car nous savions trop bien que la Justice couvrirait la police, puisqu’elle le fait toujours, même chaque fois que la police tue. Et la Justice n’a pas besoin d’être corrompue. Elle applique normalement les lois faites par les dominants pour protéger les dominants. Il ne sert à rien de s’indigner face à la violence d’État. Il est tout à fait normal qu’un État opprime le peuple ainsi que celles et ceux qui lui résistent. C’est son boulot. Et c’est la lutte des classes. Nous pensons qu’il vaut mieux s’organiser collectivement pour arracher les racines de ce carnage. Mais le tribunal du maître est tout de même un champ de bataille. Alors nous avons décidé de porter plainte en juillet 2013, pour tenter de fissurer un peu ce sentiment d’impunité des milices d’État au pays des droits de l’homme blanc et riche. Pour contre-attaquer, en accusant non pas quelques policiers, mais l’État. Car la violence des
shtars c’est bien lui qui la fabrique. Et c’est aux classes dominantes qu’elle profite. »

Lire le texte intégral sur le blog du collectif des Panthères enragées

À la recherche de l’or du temps

lundi 23 juin 2014 :: Permalien

Entretien publié dans la revue Solidaritat, éditée par le syndicat Solidaires du Gard, en avril 2014.

« À la recherche de l’or du temps »

Nico, tout d’abord, pourrais-tu te présenter brièvement ?

Exercice difficile. Si je devais résumer outrancièrement, je dirais ceci : j’ai 38 ans, je suis père de deux jeunes garçons, je conjugue une double activité professionnelle : prof de français en collège à Montreuil (93) et éditeur associatif. Je pourrais ajouter que je milite dans la sphère anarcho-syndicaliste depuis une quinzaine d’années, que j’ai coanimé pendant plus de dix ans un fanzine de contre-culture antifasciste et libertaire. J’ai également joué dans deux groupes de punk rock engagés. Comme Brecht, je crois que nos défaites ne prouvent rien sinon que nous sommes trop peu nombreux. Par là, je consacre ma vie à lutter contre l’infamie capitaliste et à rechercher l’or du temps.

Peux-tu nous expliquer le choix du nom de tes éditions, Libertalia ?

La république égalitaire et solidaire « Libertalia », sise au large de Madagascar, est une utopie pirate attribuée au capitaine Johnson, plus connu sous le nom de Daniel Defoe. Misson, un aristocrate déclassé, et Carracioli, un prêtre défroqué, décident de jeter l’ancre et de créer un havre de paix et d’équité où les distinctions de race n’ont plus cours. Bien qu’empreint de bondieuserie, le petit récit de Defoe est séduisant. Nous avons réédité ce texte, et choisi de nous ranger derrière le Jolly Roger, le bel étendard des forbans de tous les pays.

Concrètement, les éditions Libertalia, c’est combien de personnes impliquées pour les faire vivre ? Qui fait quoi ? En quoi peut-on parler d’éditions autogérées ?

Libertalia repose sur un noyau dur de trois personnes : Charlotte, aujourd’hui correctrice professionnelle, mais qui est passée par plusieurs boulots dans l’édition (attachée de presse, assistante d’édition, libraire, représentante). Elle fait beaucoup de préparation de copie, tâche ingrate et indispensable, et de plus en plus d’édition. Bruno, ancien chanteur de punk rock, dessinateur talentueux, est le graphiste et Webmaster de Libertalia depuis le premier livre. La ligne graphique assez radicale, reconnaissable entre 1 000, c’est lui. Et puis moi, j’assume davantage de boulot éditorial : commandes d’ouvrages à des auteurs, proposition de rééditions, recherche d’illustrateurs, de traducteurs, etc. Mais aussi le suivi des commandes directes, les envois de services de presse, les relations avec le diffuseur, l’organisation des nombreuses soirées de présentation…
Bien entendu, on peut toujours compter sur le soutien des auteurs qui ont publié chez nous pour relire, proposer un appareil critique, faire une première correction, soumettre des idées, traduire, etc.
Est-ce pour autant l’autogestion ? On ne le prétend pas. Ce qui est certain, c’est qu’aucune décision de publication n’est prise sans accord unanime des trois principaux artisans.

Votre catalogue est particulièrement éclectique et riche. Quelle est votre ligne éditoriale ?

On publie des livres qui nous semblent aller dans le sens de l’émancipation. Par là, on mélange depuis les débuts deux grands registres : la littérature sociale, voire prolétarienne ; et les essais historiques, sociologiques. À cela, on ajoute une pincée de graphisme, de rock’n’roll et de témoignages militants. On fonctionne au coup de cœur et à la commande. On va chercher des auteurs, on propose des thèmes. Mais étrangement, on ne publie quasiment jamais de manuscrits reçus par voie postale ou par mail. Pour intégrer la famille Libertalia, il faut être recommandé. Il faut, indubitablement, venir de la gauche antagoniste et y avoir mouillé la chemise.

Éditions militantes et autogérées, Libertalia survit comment en sachant que les contingences économiques font bien souvent couler des maisons d’éditions alternatives ?

Quand on anime une maison d’édition comme Libertalia (ou tant d’autres de la même échelle), il faut bien concéder que les réalités quotidiennes sont souvent plus prosaïques que l’idéal affiché au fronton. Il s’agit aussi de commerce. Donc je passe une partie de mon temps à négocier des devis avec notre imprimeur auvergnat, à échelonner le paiement des divers droits, à angoisser quand je constate que 90 jours plus tard, à réception du virement du diffuseur Harmonia Mundi, le compte n’y sera pas et qu’il faudra peut-être repousser un projet car les caisses sont vides. Libertalia vend beaucoup de livres, mais à petits prix. C’est un parti pris qui ne permet pas de penser sereinement la suite. Nous n’avons certes aucun salaire (les traducteurs, illustrateurs, auteurs et ayants droit sont payés), mais pas non plus de fonds de roulement, c’est assez inconfortable.

Les éditions Libertalia existent déjà depuis sept ans. Quel bilan tires-tu de ces années parcourues ?

En toutes ces années, j’ai appris le métier. Ça ne s’improvise pas. Paradoxe du moment, j’ai véritablement deux boulots. L’un relève de la passion (l’édition), une passion chronophage, dispendieuse et épuisante. L’autre est bien plus qu’un gagne-pain (l’enseignement). Souvent, la superficialité du monde de l’édition me fatigue. J’ai alors le sentiment d’être vraiment à ma place lorsque je réexplique le passé simple à mes élèves de 6e ou que je partage l’étude des Misérables avec ceux qui sont en 4e.
Je dois également constater que je ne milite plus de la même façon. Je cours après le temps et vais moins souvent en AG ou en manif qu’avant.
Avec le développement de Libertalia, nous avons multiplié les rencontres, nous nous en sommes nourries et nous cherchons, plus que jamais, à mettre notre audience au service des opprimés. Pour moi, Libertalia est une aventure. J’aimerais que celle-ci croise la route de plus vastes desseins d’un grand souffle émancipateur.

Quels sont vos projets d’avenir ?

Il y en a tant ! Il y a d’abord les projets coordonnés par la revue N’Autre École : L’École des barricades (de Grégory Chambat) sur les écrits et pratiques de la pédagogie sociale. Il y aura, en avril, Paris, bivouac des révolutions, une somme historique sur la Commune de Paris, rédigée par Robert Tombs, enseignant au Saint-John’s college de Cambridge. Nous préparons aussi la réédition de plusieurs classiques du mouvement ouvrier, dont Tout est possible ! Les gauchistes français, 1929-1944, de Jean Rabaut. C’est évidemment un livre qui rend hommage aux minorités révolutionnaires des années 1930. Je ne sais pas si un tel bouquin trouvera un public, mais je viens de cette culture politique, et je suis ravi que Libertalia puisse le rééditer.

Le mot de la fin ?

Merci pour votre entretien. Longue vie à Solidaritat. Rendez-vous dans la rue, en concert, au bistrot, ou dans les… salons du livre.

Paris, bivouac des révolutions sur Dissidences

lundi 23 juin 2014 :: Permalien

Un compte rendu de Jean-Guillaume Lanuque publié sur le blog de la revue Dissidences.

Paris, bivouac des révolutions

Cette somme sur la Commune de Paris est, après les travaux de Jacques Rougerie (qualifié d’historien « républicain » de la Commune, et à qui le livre est d’ailleurs dédié), une incontestable référence sur cet événement capital pour les mouvements de gauche se réclamant de la révolution et du socialisme. Initialement publié en 1999 en langue anglaise, Paris, bivouac des révolutions (titre repris d’un article de Jules Vallès) est traduit par José Chatroussat, l’auteur profitant de l’occasion pour reprendre et enrichir son texte. Il s’agit d’une vulgarisation synthétique majeure, qui cherche à proposer une vision totale, englobante des événements, et s’avère souvent passionnante.

Après un exposé chronologique de l’épisode de la Commune, Robert Tombs s’intéresse d’abord au contexte ayant produit cette explosion parisienne. Pour cela, il insiste sur l’importance de la politisation de Paris, marquée par l’empreinte culturelle de l’histoire révolutionnaire (« Les Parisiens savaient que la révolution était possible et savaient comment la mettre en œuvre », p. 50), et dont la population est alors surtout composée de travailleurs (aux deux tiers dans l’industrie et le commerce), avec une majorité d’immigrants récents. D’autant que face à l’haussmanisation de la capitale surgit un désir de reprendre le contrôle sur la vie et la ville.

Pour autant, il n’y avait pas, selon Robert Tombs, de situation prérévolutionnaire dans les années 1868-1870. Il insiste en particulier sur le rapport de force entre police et émeutiers, favorable à la première, et sur l’échec de l’insurrection blanquiste d’août 1870. Loin d’un automatisme à connotation téléologique, il insiste sur l’histoire comme bifurcation, et à ce titre, c’est la guerre contre la Prusse qui va accoucher de la Commune. Le récit de Robert Tombs permet à cet égard un rappel très utile du déroulement du siège de Paris, épreuve ayant grossi les inégalités sociales (sur le ravitaillement en particulier). La menace des armées prussiennes contribua surtout à l’essor de la Garde nationale : « Ainsi, la guerre créa des organisations locales, démocratiques et armées à une échelle sans précédent » (p. 104). Après l’armistice et les élections d’une Assemblée nationale réactionnaire refusant tout compromis avec Paris, c’est elle et son Comité central, de plus en plus composés de révolutionnaires, qui prirent une importance accrue. Ces minorités révolutionnaires avaient d’ailleurs déjà pris de l’importance à l’occasion des municipales de la fin de 1870, contribuant à un activisme à la base (boucheries et cantines municipales, laïcisation des écoles, création de coopératives, de Bourses du travail…) repris ensuite par la Commune.

C’est sur le déroulement de cette dernière que Robert Tombs apporte les réflexions les plus notables. Concernant les organes politiques de la Commune – un terme proposé par Émile Eudes fin mars, référence à la fois à la revendication d’autogouvernement et à la Commune insurrectionnelle de 1792 –, il insiste sur les tâtonnements dont ils furent l’objet [1], tiraillés par ailleurs entre plusieurs tendances, dont les principales furent, grossièrement, celle des « proudhoniens », plus démocratiques, et des « blanquistes », plus autoritaires. À cet égard, Robert Tombs revoit à la baisse les ambitions de la Commune, qu’il juge plus politique qu’économique. Concernant l’administration, pour laquelle la Commune était particulièrement soucieuse de son fonctionnement rigoureux, le salaire moyen des fonctionnaires, si souvent mis en exergue, était plutôt celui d’un bon artisan ou d’un colonel, tandis que les seuls fonctionnaires réellement élus furent ceux de la Garde nationale. Les moyens de production furent quant à eux relativement peu transformés, les petites entreprises, majoritaires, étant respectées, tandis que les réquisitions ou les créations de coopératives demeuraient limitées. Il n’en reste pas moins que « la proportion de dirigeants ouvriers – environ la moitié des membres de la Commune – n’a probablement jamais été égalée dans aucun autre gouvernement révolutionnaire en Europe » (p. 238). C’est finalement sur le plan culturel que les acquis sont parmi les plus affirmés, que ce soit la laïcisation (l’anticléricalisme, endossé surtout par les blanquistes, ne bénéficiant pas toujours du soutien populaire) ou la liberté laissée à la Fédération des artistes menée par Gustave Courbet. Par contre, l’engagement des femmes fut plus restreint qu’on ne le croit, leur investissement s’exerçant surtout à la base, les combattantes étant de rares exceptions [2]. On notera également des développements intéressants sur les motivations de l’activisme révolutionnaire, qui s’explique aussi bien par la volonté de survivre dans l’adversité (la Garde nationale assurant une solde), le sentiment de groupe, les amitiés [3], en plus du sentiment grisant pour les dominés d’inversion de l’ordre social.

Robert Tombs ne néglige pas de se pencher sur les adversaires ou le marais des hésitants. Assez logiquement, ce sont surtout les classes moyennes, effrayées pour leurs propriétés, qui furent les plus hostiles, le soutien tacite du reste de la population parisienne (dont un tiers avait tout de même quitté la ville) diminuant parallèlement au recul militaire. Ce dernier s’explique en particulier par l’échec des efforts de militarisation manifestés par Cluseret, la Garde nationale souffrant de graves lacunes et d’inefficacités dangereuses ; ce qui n’empêche pas Robert Tombs de souligner ses atouts, au risque de comparaisons trop peu argumentées avec l’Armée rouge ou l’Espagne républicaine [4]. Au final, il y a surtout un décalage considérable entre les deux violences alors en conflit. La Commune manifesta en effet une réelle réticence à l’égard de toute politique de terreur, les actes de ce type étant rares, brefs et isolés, ne mettant pas en cause la responsabilité des dirigeants (à l’exception des blanquistes), là où Versailles exerça un véritable exorcisme de la révolution, s’inscrivant dans un cycle long visant à diminuer la violence publique tout en diabolisant les violences populaires, comme pour mieux affirmer le monopole étatique de cette violence. La défaite de la Commune, si elle signifia l’érosion du poids de Paris en France, permit paradoxalement l’affirmation de la République. Bien des anciens communards réintégrèrent d’ailleurs par la suite le jeu républicain, ce qui amène Robert Tombs à valoriser la dimension patriotique de leur engagement…

Toutefois, en relativisant la profondeur révolutionnaire de la Commune de Paris, et en privilégiant plutôt les changements du temps long, Robert Tombs tend à effacer en partie la singularité propre de cette insurrection [5]. Car finalement, cette révolution composite est tout à la fois crépuscule, aurore et zénith, et si la réalité est souvent fort éloigné des mythes [6], il est clair que ce sont eux qui ont considérablement forgé les réflexions politiques et les conceptions pratiques des révolutionnaires ultérieurs, à commencer par les bolcheviques [7].

Jean-Guillaume Lanuque

[1« La succession rapide de deux commissions exécutives et ensuite l’étape radicale conduisant à la création d’un Comité de salut public montraient le désir perpétuel, mais vain, de créer une autorité efficace capable de trancher par-delà les rivalités et les délais administratifs, et d’accomplir un miracle politique et stratégique par leur volonté et leur ferveur révolutionnaire » (p. 174).

[2Sur les femmes pendant la Commune, on peut se reporter à un ouvrage déjà fort ancien, mais pour l’instant encore inégalé, celui d’Édith Thomas, Les Pétroleuses, Paris, Gallimard, collection « La suite des temps », 1963/1980.

[3« Nous devrions considérer les fédérés non pas comme un ensemble de catégories – « ouvriers », « socialistes », ni même comme des échantillons aléatoires de ces groupes, mais comme des milliers de petits groupes de voisins, d’amis et de camarades » (p. 267). Cette influence de la micro-histoire offrant toutefois le risque d’échapper à une appréhension et une compréhension plus globales.

[4« En comparaison de l’Armée rouge, dans un état d’ébriété et de chaos absolu [sic] pendant la guerre civile en Russie, ou de l’état d’insubordination parfois extrême des milices républicaines pendant la guerre civile espagnole, les fédérés apparaissent comme des parangons d’autodiscipline et d’efficacité. » (p. 324).

[5Il va même jusqu’à considérer que le catholicisme représentait pour les femmes un espace de liberté, négligeant la dimension d’aliénation qu’elle véhicule inévitablement (p. 292).

[6Sur les mythes de la Commune, auxquelles Robert Tombs consacre sa dernière partie, voir Éric Fournier, La Commune n’est pas morte. Les usages politiques du passé de 1871 à nos jours, Paris, Libertalia, 2013, chroniqué sur ce même blog : http://dissidences.hypotheses.org/3235

[7Ainsi que l’écrit Jean-Clément Martin dans Violence et révolution. Essai sur la naissance d’un mythe national (Paris, Seuil, collection « L’Univers historique », 2006, prochainement chroniqué sur notre blog), « la réalité des faits compte moins que leur résonance et la signification qui leur est ajoutée » (p. 62). 

Le Parti communiste français et le livre

vendredi 20 juin 2014 :: Permalien

Le Parti communiste français et le livre. Écrire et diffuser le politique en France au XXe siècle (1920-1992). Sous la direction de Jean-Numa Ducange, Julien Hage, Jean-Yves Mollier. Éditions universitaires de Dijon, 212 pages, 2014, 18 €.

Chronique parue dans CQFD, numéro du 15 juin 2014.

Le Parti communiste français et le livre

Il y a quelques années, à l’occasion d’un débat organisé sur L’Argent et les mots (La Fabrique, 2010), André Schiffrin faisait remarquer que les structures éditoriales partidaires et syndicales n’existent plus, ou peu s’en faut.
« J’ai connu l’époque où pas une grande réunion du Parti ne se tenait sans “table de littérature” offrant brochures et livres, et où chaque section se devait d’avoir sa petite armoire à livres », déclare le philosophe Lucien Sève, ancien responsable des Éditions sociales de 1970 à 1982, dans l’ouvrage collectif Le Parti communiste français et le livre. Écrire et diffuser le politique en France au XXe siècle (1920-1992).
On sait la place privilégiée – instrument d’émancipation, objet de formation continue – qu’a toujours détenue le livre au sein du mouvement ouvrier international. On connaît moins bien l’histoire de l’édition communiste en France, en particulier depuis 1968.
L’édition liée au PCF a d’abord été marquée par la figure de Boris Souvarine, animateur de la Bibliothèque communiste et de la Librairie de L’Humanité (qui publia jusqu’à 60 titres par an au cours des années 1920). Rapidement repris en main, ce secteur est ensuite divisé en deux entités : le Bureau d’édition, de diffusion et de publicité (BEDP) et les Éditions sociales internationales chargées de diffuser l’œuvre de Lénine, les romans agréés par Moscou, et les textes émanant de dirigeants majeurs (Fils du peuple, de Maurice Thorez, 1937).

Ce n’est qu’à la libération qu’une place essentielle est accordée au livre communiste : en sus des Éditions sociales (ES), une maison d’édition de littérature est constituée (Les Éditeurs français réunis), ainsi qu’une branche spécialisée dans le livre jeunesse (La Farandole). Mais surtout, le Parti se dote d’un réseau de librairies, les Librairies de la Renaissance, qui compte jusqu’à 40 enseignes à son apogée au milieu des années 1970, ainsi que d’une structure de diffusion, le Centre de diffusion du livre et de la presse (CDLP) qui fera faillite à l’orée des années 1980.

À la lecture des différents chapitres et des trois passionnants – mais techniques – entretiens qui constituent cet ouvrage, on est d’abord écrasé par le poids de la diffusion des ouvrages communistes. Alors premier parti de France, le PC, fort de ses relais municipaux et des nombreuses fêtes de l’Humanité départementales, vendait des dizaines de milliers d’exemplaires de la plupart des ouvrages dont il diligentait la fabrication. Pourtant, en dépit de la richesse d’une partie du catalogue, trois points cruciaux, à charge, sont à mentionner : 1) la plupart des acteurs majeurs et communistes du livre ne souhaitaient pas être publiés par les éditions liées au PCF. Louis Aragon animait une collection chez Gallimard, son éditeur ; Louis Althusser, Henri Lefebvre ou Michel Vovelle publiaient leurs travaux ailleurs ; Henri Alleg opta pour un éditeur « bourgeois » lorsqu’il rédigea La Question (Minuit, 1958). Pire encore : les dirigeants communistes, à commencer par Georges Marchais, publiaient chez Grasset. 2) On reste ensuite saisi par l’ampleur de la dette qu’accumulèrent ces structures auprès de leurs imprimeurs est-allemands. Au début des années 1980, Georges Gosnat, trésorier du PCF, négocie un moratoire sur les dettes, qui s’élèvent à l’équivalent de 40 millions d’euros ! Les tirages sont colossaux et la gestion calamiteuse. 3) Enfin, et cela transparaît particulièrement au cours des entretiens avec Lucien Sève et Claude Mazauric, deux anciens responsables des ES (membres du comité central du parti), la liberté éditoriale a de fortes limites. Les éditions du Parti sont chargées de relayer la ligne insufflée par les instances dirigeantes et les travaux les plus ambitieux, notamment la traduction intégrale de Marx, sont souvent considérés avec indifférence, voire avec dédain.
Tout ceci donne le sentiment d’une absence de réflexion globale sur la place du livre au sein du monde communiste. Il n’est donc guère étonnant que l’édifice se soit totalement effondré avec la fin du « communisme réel ». À ce jour, il n’existe plus de maisons d’édition intrinsèquement liées au PCF (mais des éditeurs proches comme Le Temps des cerises et La Dispute), et il ne reste que quatre des 40 librairies que compta le réseau La Renaissance-Messidor.

Nicolas Norrito