Le blog des éditions Libertalia

Dimitri Manessis et Jean Vigreux invités du Cours de l’histoire sur France Culture

mercredi 28 février 2024 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Dimitri Manessis et Jean Vigreux étaient les invités avec Annette Wieviorka de l’émission Le Cours de l’histoire du 23 février 2024 sur France Culture consacrée à « Manouchian et les autres, la main-d’œuvre immigrée en Résistance ».

Manouchian et les autres, la main-d’œuvre immigrée en Résistance. Ils étaient vingt et trois, nous rappelle la chanson. Ils furent vingt-deux fusillés par les nazis au Mont-Valérien (et bien plus nombreux, ce jour-là, le 21 juillet 1944, à être exécutés sur le même lieu). Olga Banchik, elle, fut guillotinée plus tard à Stuttgart. Ils étaient dix sur une affiche placardée sur les murs de la France occupée, mais comment ont-ils été choisis ? Ils sont deux à entrer au Panthéon, avec la mémoire de tous les autres.
Défendre les droits et les intérêts des travailleurs étrangers
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la France doit être reconstruite. C’est dans ce contexte qu’une main-d’œuvre immigrée nombreuse rejoint le pays et ne tarde pas, dès les années 1920 et dans le sillage d’une profonde restructuration des gauches et des mouvements syndicaux, à se constituer en un groupe : la MOE, qui devient en 1932 la MOI. Cette structure, liée au PCF, permet à ces travailleurs étrangers de défendre leurs droits et leurs intérêts contre une xénophobie latente non seulement dans la société, mais aussi au sein même des mouvements ouvriers et syndicaux. Certains membres de la MOI sont arrivés en France à la suite d’une émigration politique, après avoir fui le génocide arménien, comme c’est le cas pour Mélinée et Missak Manouchian, mais aussi l’avènement du fascisme en Italie ou encore celui du nazisme en Allemagne. Pour Jean Vigreux, il y a une complexité des parcours de vie et des âges au sein de la MOI :
“C’est un pays d’immigration, la France, dans ces années 1920 et 1930, d’un point de vue économique. Et il y a ceux qui fuient les régimes autoritaires, fascistes en Italie, d’Europe centrale et orientale, avec un anticommunisme très fort de la Pologne ou de la Roumanie, et puis les pogroms et l’antisémitisme. On brasse plusieurs générations.” Pour ces hommes et ces femmes en exil, la France représente un idéal : celui du pays de la Révolution, des droits de l’homme et du citoyen, des arts et des lettres. »

Écouter sur le site de Radio France.

Dimitri Manessis et Jean Vigreux invités d’Affaires sensibles sur France Inter

mercredi 28 février 2024 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Dimitri Manessis et Jean Vigreux étaient les invités de l’émission Affaires sensibles du 21 février 2024 sur France Inter consacrée aux « zones d’ombre de l’affiche rouge ».

« 21 février 1944 : 22 hommes, de 18 à 44 ans, sont fusillés par les soldats allemands sur le Mont Valérien. Une femme de 32 ans est quant à elle déportée en Allemagne, avant d’être décapitée quelques semaines plus tard. Des dizaines d’autres de cette bande de “terroristes judéo-bolchéviques”, comme les dénommait la presse française, trouveront la mort dans l’anonymat des camps de concentration. Quatre-vingts ans tout juste après son exécution, Missak Manouchian, le chef présumé, entre aujourd’hui au Panthéon.
Leur notoriété ? Ils la doivent à la propagande allemande : cette affiche rouge, placardée sur les murs des villes françaises quelques jours après leurs morts, exhibant fièrement le visage de dix d’entre eux. Comme l’écrivait le poète Aragon, les Allemands cherchent alors naïvement “un effet de peur sur les passants”.
Il serait commode de croire que, comme toute la France était résistante, toute la France ait vu instantanément dans ces visages étrangers des héros. Il faut en fait des décennies pour que leurs actions soient reconnues, et bien des années encore pour que les historiens parviennent à démêler le faux du vrai : comment ils se sont battus ? Comment ils sont tombés ? Car les dix de “l’affiche rouge”, et les 22 fusillés du 21 février, ne sont que la face visible d’une improbable armée de guérilleros tapie dans l’ombre : Les FTP MOI, pour franc-tireurs partisans Main d’œuvre immigrée. Des communistes ? Des étrangers ? Des terroristes ? Tout ça à la fois, et bien plus encore : une véritable équipe de choc au service de la Résistance. »

Écouter sur le site de Radio France.

Avec tous tes frères étrangers sur Mediapart

mardi 27 février 2024 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié le 20 février 2024 sur Mediapart.

Manouchian et ses camarades partageaient « un horizon internationaliste »

Avec la panthéonisation de Missak Manouchian mercredi 21 février 2024, 80 ans après son exécution par l’occupant nazi, Emmanuel Macron choisit d’accomplir, selon ses mots au journal L’Humanité, « un acte de reconnaissance des FTP-MOI et de tous ces juifs, Hongrois, Polonais, Arméniens, communistes, qui ont donné leur vie pour notre pays ».
Sous ce sigle à six lettres, pour « Francs-tireurs et partisans-Main-d’œuvre immigrée », c’est tout un pan de la Résistance qui se voit mis en lumière, au-delà de la figure d’un homme déjà intégrée à la culture populaire,
via le poème d’Aragon mis en musique par Léo Ferré, L’Affiche rouge. Le titre de l’ouvrage de Dimitri Manessis et Jean Vigreux, Avec tous tes frères étrangers (Libertalia, 2024), indique bien l’histoire collective des FTP-MOI que les deux chercheurs ont justement voulu proposer.
Respectivement docteur en histoire et professeur d’histoire contemporaine à l’université de Bourgogne Franche-Comté, ils montrent combien cette histoire précède largement le second conflit mondial, en débutant dans les années 1920, lorsque la France devient provisoirement une terre d’immigration. Et en se poursuivant après la Libération, dans la galaxie communiste et dans la mémoire collective.
Pour Mediapart, Dimitri Manessis et Jean Vigreux remettent en perspective l’action de Manouchian et de ses frères et sœurs de combat, et les enjeux mémoriels d’une panthéonisation décidée par le pouvoir politique. Ils insistent sur la nature spécifique du patriotisme qui animait les FTP-MOI, révolutionnaire, populaire et internationaliste.

Mediapart : Manouchian était un responsable des FTP-MOI. Sur le terrain, quelle a été l’importance de leur résistance ?

Dimitri Manessis  : Il faut rappeler que la Résistance française n’a pas été un mouvement de masse, contrairement à la situation qui a prévalu dans des pays comme la Yougoslavie ou la Grèce. La lutte armée, dans ce cadre, a été essentiellement portée par le PCF en 1943-44. Les FTP-MOI, qui étaient des résistants communistes et étrangers organisés en groupes de langue, peuvent être décrits comme le « fer de lance » de cette lutte armée, en région parisienne et secondairement en province.
D’un point de vue strictement militaire, l’action des FTP-MOI n’a pas eu d’impact décisif sur le cours du conflit. On peut d’ailleurs le dire de l’action générale de la Résistance. Sa valeur politique, en revanche, a été centrale. Il s’agissait de mener une guérilla, afin de montrer à l’armée d’occupation, tout comme aux collaborateurs locaux et à l’opinion publique, que la France était le théâtre d’une lutte de libération, que le pays tout entier ne baissait pas la tête. Cela correspondait à une demande des Alliés : les Britanniques, en particulier, souhaitaient des guérillas dans les pays occupés.

Jean Vigreux : On estime que 3 à 4 % de la population en France a participé à la Résistance. Mais cette dernière, comme mouvement organisé, a compté entre 18 et 20 % d’étrangers en son sein. La plupart d’entre eux sont des réfugiés antifascistes, antinazis, ainsi que des volontaires partis combattre en Espagne pour défendre le camp républicain contre Franco. Ces derniers, forts de cette expérience, ont été un vivier de cadres trentenaires et quadragénaires ayant dirigé les FTP-MOI.

Avant son arrestation, Manouchian a remplacé Boris Holban comme commissaire militaire de la région parisienne. Ce dernier a été démis de ses fonctions en raison de désaccords. Est-ce que cela signifie qu’il y avait des débats sur le coût humain de cette lutte armée ?

Jean Vigreux : Il ne faut pas surestimer les différences de point de vue, dans la mesure où Holban avait lui-même participé à la montée en puissance des attaques. On parle d’une action tous les deux à trois jours pendant un an, qui témoigne d’une vraie volonté de harceler les troupes d’occupation. Après la défaite des nazis à Stalingrad sur le front russe, qui prouvait que l’armée allemande n’était pas invincible, des espoirs puissants ont nourri l’action des FTP-MOI.
Une fois ceci rappelé, il est vrai qu’entre le Parti communiste, les FTP et les FTP-MOI, il pouvait y avoir des appréciations différentes sur les modalités de la lutte. Dans son témoignage, qu’il faudrait recouper, Boris Holban mentionne une nuance entre lui et Henri Rol-Tanguy [chef des FTP de la région parisienne – ndlr]. Mais on ne peut pas dire qu’il y ait eu de fuite en avant, ou que Manouchian ait été envoyé inconsidérément au sacrifice. Dans les archives, on perçoit une volonté de faire attention, malgré les dangers évidents de la lutte.

Dimitri Manessis : Il y avait un désaccord tactique entre Boris Holban et Henri Rol-Tanguy, qui portait davantage sur l’ampleur que sur la densité des actions. C’est un débat qu’on retrouve historiquement ailleurs dans d’autres guérillas. L’idée de monter d’un cran dans la qualité des actions, et pas seulement dans leur quantité, a donné lieu à des discussions terribles, dans les conditions extrêmement difficiles de la clandestinité, avec toutes les difficultés de communication que vous pouvez imaginer. C’est à la suite de ce désaccord tactique qu’Holban a été mis de côté, mais provisoirement, et sans qu’aucun FTP-MOI n’ait suggéré de renoncer à la guérilla elle-même.

Dans « L’Express », le chercheur Sylvain Boulouque suggère que Manouchian aurait livré des informations importantes aux policiers français qui l’ont arrêté. Y a-t-il eu construction d’une « légende », comme il l’affirme ?

Dimitri Manessis : Ce n’est pas un scoop que des personnes parlent sous la torture. Mais Manouchian et ses camarades ont dit le strict minimum, et ce n’est pas le produit de leurs aveux qui a provoqué la chute du groupe, mais bien la traque minutieuse qui durait depuis des mois. Il ne suffit pas de regarder le moment de l’arrestation et de constater celles qui ont eu lieu après. De ce point de vue, nous avons un désaccord sur la méthodologie et les conclusions de Sylvain Boulouque.

Jean Vigreux : La chronologie compte pour expliquer la vague d’arrestations qui ont eu lieu. Et en l’occurrence, il y a une personne qui a été arrêtée un mois avant Manouchian et qui a pour le coup beaucoup parlé, à savoir Joseph Davidovitch, le commissaire politique des FTP-MOI de la région parisienne. Il a été considéré comme un traître et exécuté par ses anciens camarades, après avoir été relâché par la police. Il n’a cependant pas lâché des informations de son propre chef : il a été interrogé avec sa femme devant lui, et beaucoup de documents ont été trouvés chez lui.

Cette question permet de souligner qu’au-delà des 23 membres du groupe dirigé par Manouchian, fusillés avec lui le 21 février 1944 au mont Valérien, beaucoup d’autres ont été arrêtés à la fin 1943…

Jean Vigreux : On a fait des héros des 23, mais 68 personnes ont été arrêtées à la suite de la filature de novembre 1943. Beaucoup ont été déportées, dont une dizaine de femmes mortes au camp d’extermination d’Auschwitz, qui font partie du même « écosystème » militant. Avec notre livre, nous avons voulu visibiliser ces invisibles et les inscrire dans une histoire collective, qui est aussi une histoire du temps long.

Dimitri Manessis : Toute une logistique a permis les actions des FTP-MOI. Même si la focale est souvent mise sur les hommes portant une arme, il ne faut pas oublier le rôle joué par les femmes. La seule du groupe des 23, Olga Bancic, a été non pas fusillée mais guillotinée en Allemagne le 10 mai 1944. Elle était juive, communiste, roumaine et mère d’une petite fille. Son destin mérite d’être étudié à l’occasion de cette entrée au Panthéon.

Le monument du Panthéon symbolise la « reconnaissance de la patrie » à celles et ceux qui y reposent. Comment qualifier le patriotisme des FTP-MOI, souvent mis en avant ?

Dimitri Manessis : C’est effectivement un patriotisme qui mérite d’être qualifié, car tout le monde peut se revendiquer de la France ou de la patrie. Deux temporalités différentes se conjuguent pour le comprendre. Il y a, d’une part, l’image que pouvaient avoir de la France ces immigrés ou fils d’immigrés quand ils y sont arrivés dans les années 1920. Pour beaucoup, c’était une image idéalisée, nourrie de la connaissance de la Révolution française, de la culture et de la littérature françaises. Il y a, d’autre part, le tournant pris par la politique communiste à l’occasion du Front populaire.
À ce moment-là, le PCF propose un discours syncrétique, qui ne considère pas comme antithétiques le drapeau rouge et le drapeau tricolore. C’est un patriotisme de classe, de gauche, populaire qui émerge, et qui va de pair avec des idéaux internationalistes, des références à l’Union soviétique et à la révolution de 1917. Ce discours résonne avec l’expérience vécue par les étrangers des FTP-MOI, et n’est pas sans lien avec la culture qui habitait les Brigades internationales pendant la guerre d’Espagne, lorsque le combat antifasciste était relié aux luttes pour l’indépendance nationale menées au XIXe siècle.

Jean Vigreux : Leur patriotisme, c’est en effet l’héritage de la « patrie en danger » face aux impérialismes, et certainement pas un nationalisme d’exclusion. Beaucoup ont participé au 150e anniversaire de la Révolution française à l’été 1939. Leurs références historiques, visibles dans les noms qu’ils adoptent, ramènent aux épisodes révolutionnaires de 1789, 1793, 1848 ou de la Commune. Toutes renvoient vers le projet d’une République sociale émancipatrice et un horizon internationaliste.

Vous insistez sur le fait de « visibiliser les invisibles ». Il y a justement un débat sur le choix de panthéoniser seulement Missak Manouchian, et pas ses camarades. L’historienne Annette Wieworka a notamment alimenté ce débat. Qu’en pensez-vous ?

Jean Vigreux : Missak et Mélinée Manouchian reposeront au Panthéon, mais il y aura également une plaque sur laquelle figureront les noms des 23 fusillés du 21 février 1944, et celui de Joseph Epstein [responsable FTP-MOI arrêté dans les mêmes conditions et fusillé le 11 avril 1944 – ndlr].
Je comprends la frustration qui peut exister, mais, de mon point de vue, Missak Manouchian est le symbole de toute la lutte armée menée par les résistants étrangers et communistes. L’alternative est difficile. Si on se demande : « Pourquoi pas les 23 ? », on pourrait demander : « Pourquoi pas les 68 ? » Ou pourquoi pas d’autres encore (Boris Holban, Louis Gronowski, Artur London, Cristina Boïco, etc.), qui ont fait partie de la même lutte.

Dimitri Manessis : Ce n’est pas parce qu’un individu symbolise quelque chose qu’on oublie tous les autres. Nous avons justement écrit un livre sur les FTP-MOI, une structure intégrationniste appuyée sur des spécificités dont témoignaient les groupes de langue. Dans notre position, la réponse est là : se saisir de l’occasion pour faire de l’histoire qui soit la plus claire et la plus abordable possible. Pour le dire trivialement, il y a d’autres sujets plus importants sur lesquels s’engueuler. Par exemple sur le fait que ce soit ce gouvernement-là qui panthéonise Manouchian…

C’était justement la dernière question que nous souhaitions vous poser. Comment appréhendez-vous le décalage entre le geste mémoriel et le reste de la politique menée par Emmanuel Macron ?

Dimitri Manessis : En tant que citoyen, je trouve que la loi immigration a été un symbole odieux, et je ne suis pas dupe de la mise en spectacle de l’événement par ce gouvernement libéral et autoritaire. Tout comme je trouve insupportable que Stéphane Bern, avec sa vision très particulière de l’histoire, participe à la retransmission télévisuelle de l’événement. Mais personne ne nous a demandé notre avis !
En tant qu’historien, cette fois-ci, on se saisit donc de l’occasion pour travailler, publier, faire des présentations, répondre aux journalistes… Au public, avec la connaissance la plus précise qu’il aura été possible de construire, de se faire son opinion.

Jean Vigreux : Effectivement, il y a une contradiction entre cette panthéonisation et le fait d’avoir cédé aux sirènes de la préférence nationale et de la remise en cause du droit du sol. Ce brouillage des cartes est inhérent au macronisme et aux limites du fameux « en même temps ». Je n’en suis pas dupe, mais comme historiens notre tâche est justement de déconstruire les enjeux mémoriels pour aller vers l’histoire, démocratiser les savoirs, et œuvrer à une forme d’éducation populaire et de formation continue de nos concitoyens.
Je finirai volontiers par cette phrase du dirigeant des FTP-MOI Adam Rayski, que nous avons reproduite dans notre conclusion tant elle résume bien les choses : « Par leur engagement exceptionnel dans la guerre, et plus particulièrement dans la Résistance, les immigrés semblent avoir dépassé cette opposition [entre droit du sol et droit du sang] en versant leur sang sur le sol français. »

Fabien Escalona

Avec tous tes frères étrangers dans L’Humanité

mardi 27 février 2024 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié le 21 février 2024, dans L’Humanité.

Quand Jean Vigreux et Dimitri Manessis rendent hommage aux internationalistes morts pour la France

Les historiens Jean Vigreux et Dimitri Manessis montrent comment les résistants étrangers FTP-MOI inscrivent leur combat dans le creuset communiste du mouvement ouvrier de notre pays.

À l’heure où sont honorés les résistants communistes FTP-MOI, avec la panthéonisation de Missak et de Mélinée Manouchian, l’ouvrage, Avec tous tes frères étrangers. De la MOE aux FTP-MOI, coécrit par les historiens Dimitri Manessis et Jean Vigreux arrive à point nommé.
Fruit du travail historiographique le plus en pointe, il permet de comprendre comment s’est constitué en actes le refus, jusqu’au sacrifice de sa vie, de l’Occupation hitlérienne en France par des combattants étrangers provenant de toute l’Europe pour fuir les persécutions contre les juifs, contre les arméniens et les répressions politiques. Où ces femmes et ces hommes ont-ils puisé cette force et cette détermination ? Comment sont-ils parvenus à frapper parfois durement l’armée allemande, les institutions nazies et leurs supplétifs, dans un contexte où l’occupant contrôlait tout grâce à sa puissance militaire mais aussi grâce à la collaboration pétainiste et à sa terrible efficacité, notamment en matière de renseignement avec ses tristement célèbres « brigades spéciales ».
L’explication réside dans trois lettres : la MOI, pour Main-d’œuvre immigrée. Ces femmes et ces hommes ont pu monter leurs opérations (tractages, affichages, sabotages, exécutions, déraillements, attaques à la grenade, etc.) car ils appartenaient aux groupes les plus engagés de la MOI. C’est une « organisation spéciale » créée par le Parti communiste, interdit, qui structure les FTP-MOI. Pourtant, l’existence de la MOI ne remonte pas à l’Occupation, ni même au combat antifasciste des années 1930. Elle est d’abord l’héritière de la Main-d’œuvre étrangère (MOE). Et c’est en mai 1923 qu’elle apparaît du côté syndical. La toute jeune Confédération générale du travail unitaire (CGTU) donne en effet naissance à la MOE répondant ainsi à l’invitation de l’Internationale communiste. Le but est de favoriser la solidarité internationale de classe des travailleurs et de permettre leur action dans chaque pays d’accueil, toujours sous l’autorité des structures nationales.

En 1932, la MOE devient la MOI

Dans la foulée, dès 1924, des « groupes de langue » sur le plan politique sont mis sur pied au sein du Parti, alors Section française de l’Internationale communiste (Sfic). Affiliés aux cellules de base, les communistes immigrés s’organisent selon leur origine et vont même développer une presse spécifique. L’objectif reste l’intégration à la vie politique et syndicale nationale, aux luttes en cours, y compris via le sport ouvrier, et bien sûr aux orientations du Parti communiste. Statutairement, la MOE voit le jour en 1926, lors du congrès de Lille de la Sfic. En 1932, la MOE devient la MOI, en raison des vents mauvais xénophobes. Avec la montée du fascisme et le danger imminent de l’arrivée au pouvoir de Hitler, la MOI continue sa croissance.
Elle représente un espoir au sein du Front populaire. Mais la guerre d’Espagne éclate. La MOI est à l’origine de la création des Brigades internationales et alimentera en grande partie ses troupes. Ceux qui en reviendront formeront plus tard le noyau dur des FTP-MOI. Au croisement du mouvement ouvrier, du patriotisme républicain et de l’Internationale communiste, les groupes de Francs-tireurs et Partisans de la MOI se constitueront à Paris et dans toutes les régions ouvrières fortement industrialisées. Et ils se référeront à la Révolution française ou à la Commune de Paris.

Pierre Chaillan

Avec tous tes frères étrangers sur Retronews

mardi 27 février 2024 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié le 20 février 2024 sur Retronews, le site de presse de la BNF.

Des immigrés dans la Résistance : le « groupe Manouchian »

Alors que l’on s’apprête à célébrer l’entrée au Panthéon des résistants Missak et Mélinée Manouchian, nous avons rencontré les auteurs de l’ouvrage Avec tous tes frères étrangers, qui retrace l’histoire des FTP-MOI et avec eux, celle des luttes des ouvriers étrangers en France et du militantisme internationaliste des années 1920 à 40.

Nombre d’entre nous résument l’histoire du groupe de résistants dont les Manouchian faisaient partie, les FTP-MOI (Francs-Tireurs et Partisans/Main-d’œuvre immigrée), à celle des dix visages de la fameuse Affiche Rouge. C’est oublier que l’existence de la « Main-d’œuvre Immigrés » s’inscrit dans le temps long des luttes des ouvriers étrangers en France et du militantisme internationaliste.

Pour en parler, nous avons demandé leurs avis à Jean Vigreux, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Bourgogne Franche-Comté, et à Dimitri Manessis, docteur en histoire. Ils viennent de rédiger ensemble un livre consacré à la MOI, Avec tous tes frères étrangers (Libertalia, 2024) dans lequel il replace justement la création de cette organisation dans le contexte plus large de l’entre-deux-guerres avant d’évoquer sa spécificité au sein de la Résistance et les contradictions que portent ses mémoires.

Retronews : Un point important de votre livre permet de dépasser une vision réductrice des FTP-MOI et de replacer leur action dans le cadre beaucoup plus large des combats des immigrés en France à partir des années 1920. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Dimitri Manessis : Cette remarque renvoie à l’intérêt que nous avons eu à écrire ce livre. Nous souhaitions tout d’abord insister sur le fait que dans le sigle FTP-MOI il y a MOI (Main-d’œuvre immigrée), qui s’appelle, jusqu’en 1932, la MOE (Main-d’œuvre Étrangère). Ensuite, nous voulons offrir une synthèse de cette MOI avant, pendant et après la Guerre.
La MOI apparaît donc dans le contexte de l’immédiate après Première Guerre mondiale, à un moment où la France décimée fait appel pour se reconstruire à une force de travail étrangère qui arrive par centaines de milliers dans l’Hexagone. À la même époque, on observe aussi une importante recomposition des gauches suite à la Révolution d’octobre et la division entre socialistes et communistes. Ces derniers cherchent alors à appliquer concrètement un certain nombre de valeurs et de doctrines qui sont celles de l’Internationale communiste, notamment l’internationalisme prolétarien, c’est-à-dire d’envisager le combat de classe comme un combat dépassant les frontières. Par conséquent, pour les communistes, les prolétaires autochtones ou étrangers ont leur place à égalité dans les luttes en France. Aussi vont-ils très naturellement construire une organisation qui leur est dédiée : la MOE, d’abord dans le champ syndical, dans la CGT-U, puis au sein du PCF et de ce qui est appelé « groupes de langues ». Cette structure devient aussi un outil pour se confronter à la xénophobie présente non seulement dans la société en général, mais également dans le mouvement ouvrier et parfois même communiste. Or ces préjugés, aux yeux des militants, empêchent le libre développement du combat de classe.

Jean Vigreux : Une partie de cette main-d’œuvre étrangère vient en effet en France pour des raisons économiques. Le père du futur FTP-MOI Rino Della Negra, auquel Dimitri et moi avons consacré un précédent livre, est ainsi un briquetier frioulan qui part reconstruire le Pas-de-Calais. Mais il ne faut jamais perdre de vue qu’il y a aussi tout au long de l’entre-deux-guerres une immigration politique de gens qui survécu au génocide des Arméniens, d’autres qui fuient l’arrivée des fascistes au pouvoir en Italie, les régimes autoritaires en Europe centrale et orientale puis le nazisme en Allemagne. Pour ces hommes et ces femmes, la France constitue alors un refuge évident, car ils ont d’elle une image idéalisée. Ils l’assimilent au pays des droits de l’homme, à une terre où il existerait une égalité des races et de religion depuis la Révolution française.

C’est assez frappant, car la France est également le pays de l’affaire Dreyfus. Or, nombre de membres de la MOI sont des Juifs venus d’Europe de l’est.

Jean Vigreux : Oui, mais ils restent fascinés par un récit qui fait de l’Hexagone un pays émancipateur, universaliste, qui met en avant des événements comme la Révolution française, celle de 1848, les démocs-socs de 1849, la Commune, Jaurès. La France, c’est aussi le pays de fondation de la Ligue des droits de l’homme, le pays où s’installe en 1928 la LICA (Ligue internationale contre l’antisémitisme).

Dimitri Manessis : Pour aller plus loin, la France a certes une longue tradition antisémite, mais c’est également un pays où, à la différence de ce qui peut se passer ailleurs en Europe, il n’y a pas de pogroms. Néanmoins, la vision idéalisée qu’ont les militants immigrés de la France va vite se heurter à la réalité.

Durant l’entre-deux-guerres, la MOI regroupe des hommes et de femmes de quelles origines ?

Dimitri Manessis : Il faut d’emblée préciser quelque chose. La MOI n’inclut pas des hommes et des femmes issues des colonies. Ceux-ci sont organisés séparément de la MOI qui est, elle, essentiellement européenne. Les instances communistes justifient cette division de la spécificité des travailleurs coloniaux par la question de la lutte pour l’indépendance nationale – qui est au centre de la propagande que vont mener les militants du Komintern. En somme, les mots d’ordre pour la main-d’œuvre venue des colonies sont « lutte de classe et lutte de libération nationale » alors que l’on insiste presque exclusivement sur la lutte des classes auprès de la main-d’œuvre étrangère.

Jean Vigreux : Pour revenir à la MOI, le recrutement se fait essentiellement dans la classe ouvrière, avec des maçons, des briquetiers, des hommes et femmes travaillant dans l’industrie métallurgique, automobile ou textile. Toutefois, il y a des différences en fonction des origines. Ainsi, les « yiddishophones », comme ils sont appelés au sein de la MOI, sont constitués de petits artisans travaillant notamment dans les métiers du cuir ou de la confection et qui ne sont pas employés dans de grosses usines. C’est une autre forme de prolétariat qui montre la grande diversité des classes populaires dans cette France de l’entre-deux-guerres.

Dimitri Manessis : Pour compléter ce tableau, ajoutons aussi que les cadres de la MOI sont d’abord recrutés au sein de l’émigration politique, au moins jusqu’à la période du Front populaire. Ce sont des militants des partis communistes exilés qui ont, pour beaucoup, une expérience de la clandestinité.

L’insistance sur ce qui est désigné par la suite comme le « groupe Manouchian » donne une image très parisienne de la MOI. Pourtant, vous rappelez que l’organisation est active dans de nombreuses régions de l’Hexagone.

Dimitri Manessis : En effet. Nous souhaitions sortir d’une histoire trop parisienne pour montrer que la MOI est présente dans de nombreux endroits en France, notamment dans les grands bassins d’emploi industriels.

Jean Vigreux : Pour visualiser les principaux lieux de recrutement de la MOI, il suffit de regarder la carte industrielle de la France durant l’entre-deux-guerres. On remarque ainsi d’importantes concentrations de militants dans le Pas-de-Calais et le Nord, soit le bassin minier et l’industrie textile, mais aussi dans l’Est où se trouve les usines sidérurgiques, à Paris, à Lyon, à Toulouse, à Marseille, etc.

Malgré l’image idéalisée qu’ils ont de la France, les membres de la MOI sont vite confrontés à une sévère répression.

Dimitri Manessis : Oui. Tout au long de l’entre-deux-guerres, la répression anti-communiste est forte. Celle-ci touche à la fois les militants français et étrangers, mais ces derniers subissent une forme de double peine. La législation à l’époque impose en effet qu’un étranger ne puisse pas s’engager dans la vie politique hexagonale. Aussi un membre de la MOI peut risquer l’expulsion, ne serait-ce que pour avoir distribué un tract. Cela peut avoir des conséquences tragiques lorsque l’on renvoie ces militants dans des pays sous la coupe de régimes autoritaires…

Jean Vigreux : Le discours du ministre de l’Intérieur Albert Sarraut à Constantine en avril 1927 durant lequel il affirme « Le communisme, voilà l’ennemi ! » donne une idée des rapports tendus entre l’État et les communistes. Précisions toutefois qu’à certaines périodes, la répression est plus ou moins forte. Pour schématiser, celle-ci a été continue de 1919 à 1935. Le Front populaire a constitué une brève accalmie, puis cela se durcit à nouveau en 1938 avec l’arrivée de Daladier au pouvoir.

On retrouve ce discours bien au-delà des instances gouvernementales. Ainsi, en 1937, le journal patronal L’Usine s’insurge contre ce qu’il estime être « un fait intolérable : tous ces communistes étrangers [qui] se mêlent ouvertement à la vie politique en France. »

Jean Vigreux : L’extrait que vous citez est intéressant, car il date de 1937. Or, à ce moment, tout un pan du patronat explique les grèves de 1936 en disant que les « bons » ouvriers français auraient subi l’influence délétère des « mauvais » ouvriers étrangers. On cible à travers ce propos les Italiens, les Espagnols, les Juifs, et ce d’autant plus facilement qu’après la crise de 1929 se diffuse en France un discours anti-immigrés. Ainsi, le député de droite Louis Fourès affirme en mars 1933 qu’il y a « chez nous, 2 900 000 étrangers, dont 1 200 000 salariés. Nous avons 331.000 chômeurs. Si la moitié des étrangers partait, le chômage serait vaincu ».

Dimitri Manessis : Il faut avoir à l’esprit que l’anticommunisme d’État est, de fait, une politique xénophobe. La peur du communisme est alors une peur de l’étranger. Tout cela se résume à ce que l’on appelle aujourd’hui une forme de complotisme : le parti communiste serait « le parti de l’étranger ». Voilà pourquoi nombre de dirigeants du PCF sont accusés d’atteinte à la sûreté de l’État.

Comment réagit la MOI face à la guerre d’Espagne ?

Jean Vigreux : C’est elle qui initie l’idée des Brigades internationales pour défendre la république espagnole face à Franco, ce qu’André Marty refuse au début, mais que Maurice Thorez accepte – ce qui montre bien que le PCF n’est pas aussi monolithique qu’on le pense.

Dimitri Manessis : Oui, c’est une initiative qui vient de la périphérie de la périphérie et qui finit par s’imposer au sein des instances dirigeantes de l’Internationale communiste. On peut parler d’un mouvement du bas vers le haut.

Jean Vigreux : Comme le dit Dimitri, les militants de la MOI ne se contentent pas de suivre des directives. Beaucoup partent en Espagne, car là-bas ils peuvent enfin se battre face à un fascisme qu’ils avaient auparavant dû fuir. Les résistances qui n’ont pas pu être mises en place en Italie contre les mussoliniens, en Allemagne face au nazisme ou en Europe orientale et centrale face aux dictateurs locaux, se transposent dans la péninsule ibérique pour défendre un régime républicain de Front populaire.

Cet engagement dans les brigades internationales a-t-elle une influence sur la Résistance.

Oui, notamment sur les plus anciens, qui passent des brigades à la Résistance et utilisent ce qu’ils ont appris durant la lutte contre Franco dans le combat contre l’occupant nazi. Sur les vingt-trois du groupe dit Manouchian, cinq ont été membres des Brigades internationales.

Quelles sont les spécificités de la MOI dans la Résistance ? Vous dites dans votre livre qu’elle a été un des « fers de lance » de la lutte contre l’occupant.

Jean Vigreux : Oui. C’est d’ailleurs le cas dans de nombreux endroits en France. À titre d’exemple, en région parisienne, entre 1942 et 1943, les FTP-MOI font plus de 220 actions, dont l’une des plus connues reste l’exécution du général SS Julius Ritter en septembre 1943. À Toulouse ou à Lyon, ils exécutent des juges vichystes. Bref, ils harcèlent en permanence les occupants et les collaborateurs. Cela s’explique notamment par le fait que le PCF est jusqu’à début 1943, au sein de la Résistance, la seule organisation à prôner la lutte armée.

Dimitri Manessis : Cette particularité doit aussi beaucoup au fait que certains rejoignent les FTP-MOI pour échapper à la prison ou à la déportation du fait de leurs origines. C’est pour eux une question de survie.

Jean Vigreux : Je pense à ce titre à Marcel Rajman. Même s’il avait des convictions avant, l’arrestation et la déportation de son père jouent un rôle central dans son engagement et dans sa volonté de se battre.

Quelle fut la place des femmes au sein des FTP-MOI ?

Jean Vigreux : Pour se loger, les combattants ont besoin d’appui ; ce sont des femmes qui leur amenaient les armes. Olga Bancic joue ainsi un rôle fondamental. Elle gérait plusieurs appartements qu’elle avait convertis en caches pour les armes. Ce type de militantisme de l’ombre reste important. Encore aujourd’hui, on parle beaucoup des fusillés, et très peu des déportés. C’est notamment pour cela que la dénomination de « groupe Manouchian », qui en réalité n’a jamais été celle utilisée par les FTP-MOI, est trompeuse.

Dimitri Manessis : D’ailleurs, pour nombre de combattantes juives, la reconnaissance de leur déportation pour fait de résistance a été compliquée, voire impossible. Je pense en particulier au cas de Macha Ravin dont j’ai édité le témoignage. Parler de ces femmes permet un peu de s’éloigner d’une vision virilisante des combattants des FTP-MOI.

Jean Vigreux : On peut aussi ajouter à cette liste Cristina Boïco, qui s’occupait du renseignement des FTP-MOI. C’est elle qui repère Julius Ritter par exemple…

Qui a mené la répression des FTP-MOI ?

Jean Vigreux : La Police française, via notamment les brigades spéciales. C’est à elle que s’en remet la Gestapo (ou plus exactement, au SIPO-SD) parce que c’est elle qui a les moyens d’organiser des filatures de grande ampleur. Et ce n’est pas seulement le cas à Paris. Ce sont aussi des policiers français qui traquent les FTP-MOI en Province, à Marseille, à Toulouse, à Lyon, à Grenoble, etc. En dépouillant les archives, nous nous sommes même aperçus d’un élément qui nous a fait froid dans le dos. Un rapport officiel du 3 décembre 1943 classe ainsi les militants communistes interpellés en plusieurs catégories : « Français aryen », « Français juif », « étranger aryen », « étranger juif ». Cela montre que la police a intégré dans son fonctionnement le discours qui assimile le communisme à un complot de l’étranger, reprenant non seulement l’idéologie de la Révolution nationale, mais aussi celle des nazis.

Dimitri Manessis : Les brigades spéciales sont certes créées par Vichy, mais elles sont pour partie issues des renseignements généraux. Certains des membres des brigades spéciales ont ainsi déjà participé à la lutte contre les militants du PCF et de la MOI durant les années 1930. Il y a donc bien une forme de continuité entre la répression anti-communistes de l’entre-deux guerres et celle lancée sous l’Occupation, même si cette dernière a ses spécificités.

Cette continuité du discours de l’entre-deux guerre sur les étrangers militants transparaît aussi dans la presse. Au moment de l’exécution du groupe dit Manouchian en février 1944, le journal collaborationniste Paris-Soir explique que « LE MOUVEMENT OUVRIER IMMIGRÉ était dirigé par des Juifs qui prenaient leurs ordres à Moscou » ?

Dimitri Manessis : Oui, tout à fait. D’ailleurs, on remarque que le sigle de la MOI est travesti pour lier le mouvement ouvrier (donc communiste) et l’immigration. C’est aussi le propos du texte de la brochure qui accompagne la diffusion de l’Affiche rouge par les autorités d’occupation.

Jean Vigreux : Et tout cela est relayé sur l’ensemble du territoire par une presse collaborationniste aux ordres. Malgré cela début 1944, cette propagande ne fonctionne plus.

L’engagement des FTP ne s’arrête pas avec l’exécution du groupe Manouchian. Quel est leur rôle au moment de la Libération ?

Jean Vigreux : Bien sûr, l’activité continue après et d’ailleurs, tous les FTP-MOI de la région parisienne ayant pu échapper à la répression sont envoyés dans d’autres régions. Des groupes FTP-MOI participent ainsi à la libération de Toulouse, de Lyon, de Marseille. Ils sont aussi présents dans les maquis. Par exemple, dans les Cévennes, l’un des groupes est composé d’antifascistes allemands dirigés par Otto Kühne, ancien député communiste au Reichstag. On remarque aussi que les noms de ces groupes de FTP-MOI (« Valmy », « Marat », « Liberté ») renvoient à l’univers de la Révolution française à tout ce récit alternatif de l’Histoire de France mis en avant par PCF durant le Front populaire.

Après-guerre, quelle mémoire va se développer autour des FTP-MOI ?

Dimitri Manessis : En France, la mémoire des FTP-MOI n’est pas du tout mise de côté par le PCF, comme le montre cet extrait du journal Ce soir du 22 février 1951. Cela s’explique tout d’abord dans le contexte de la Guerre froide. En France, la mémoire globale de la Résistance est ainsi utilisée contre les Américains, comparés à de nouveaux occupants (et ceux qui les soutiennent à des collaborateurs). Ensuite, il ne faut pas oublier qu’à la fin des années 1940 et au début des années 1950, des étrangers communistes sont réprimés en France et sont expulsés, y compris des anciens de la MOI. Les communistes français vont alors mettre en place des structures de défense qui emploient le souvenir des MOI comme un moyen de dresser à nouveau un parallèle entre la période de l’Occupation et leur lutte.

Jean Vigreux : J’ajouterai deux choses. Tout d’abord, dès 1945, cette mémoire des MOI est organisée et qu’il y a des commémorations structurées. Pensons au poème d’Éluard « Légion » en 1951 ou celui d’Aragon (« Strophes pour se souvenir » en 1955, repris par la suite en chanson par Léo Ferré).
Ensuite, certains anciens des FTP-MOI venus de l’Europe orientale et centrale repartent dans leur pays d’origine pour aider à la construction des régimes socialistes, comme Cristina Boïco en Roumanie, Boris Holban ou Artur London. Mais très rapidement, ils y sont victimes des purges staliniennes et reviennent se réfugier en France. London par exemple est sauvé de l’exécution par le PCF, notamment grâce à sa femme, Lise Ricol. Une fois de retour en France, il rédige L’Aveu (1968) dans lequel il témoigne de l’épuration violente dont il a été la cible en Tchécoslovaquie – et qui sera par la suite adapté en film par Costa-Gavras en 1970.

Dimitri Manessis : C’est vrai. Si certains anciens de la MOI qui sont repartis réussissent à faire carrière dans l’appareil d’État des pays de l’Est, beaucoup d’autres sont au contraire en proie à la suspicion, voire pour une partie d’entre eux à l’antisémitisme. Celui-ci n’est pas évoqué au sein du PCF durant les années 1950, mais dix ans plus tard, avec l’apaisement de la Guerre froide, cela change. Aussi, je me souviens avoir lu des comptes-rendus de l’UJRE (Union des Juifs pour la Résistance et l’entraide) dans lesquels des membres s’insurgent de ce qui se passe en 1968 en Pologne, où le gouvernement lance une campagne antisémite qui touche d’anciens FTP-MOI. Bref pour beaucoup de ces derniers, l’Après-guerre a également été une période de désillusion. Ce qui ne veut pas dire que tous rompent avec leur engagement communiste. Au contraire même…

Pour finir, quel regard jetez-vous en tant qu’historien, sur l’entrée au Panthéon de Missak et Mélinée Manouchian ?

Jean Vigreux : C’est un geste fort. C’est reconnaître la place de la lutte armée et du Parti communiste dans la Résistance. C’est aussi reconnaître le rôle des étrangers dans la Résistance, car en plus de l’entrée de Missak et Mélinée Manouchian au Panthéon, une plaque portant la liste des noms du groupe plus Joseph Epstein va être apposée dans le monument. De ce côté-là, on ne peut que saluer cette initiative. Mais en même temps, il y a cette loi immigration qu’heureusement le Conseil Constitutionnel a en partie retoquée. C’est paradoxal.

Dimitri Manessis : Je partage l’opinion de Jean. La politique que mène l’actuel gouvernement, que ce soit du point de vue des étrangers, mais aussi d’un point de vue économique et social, est à l’opposé de ce qu’a pu défendre la MOI. Maintenant cette panthéonisation est là. Aussi, je pense que cette commémoration, comme n’importe quelle autre, peut être l’occasion de faire de l’histoire, de discuter, de faire découvrir la vie de ces militantes et militants dans leur diversité. D’ailleurs, nous serons attentifs à tous les discours tentant de profiter de cet événement pour créer une opposition entre de « bons » immigrés, qui seraient ceux du groupe Manouchian, et de « mauvais » immigrés qui seraient ceux d’aujourd’hui.

Propos recueillis par William Blanc