Le blog des éditions Libertalia

Réfugié, dans Silence

lundi 6 novembre 2017 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans le mensuel Silence (octobre 2017).

« Emmanuel Mbolela : semeur de solidarités entre migrant·es »

Persécuté pour des raisons politiques, l’auteur a fui la République démocratique du Congo (RDC, ex-Zaïre) en 2002, à l’âge de 29 ans. Six ans de voyage, à travers le Cameroun, le Nigéria, le Mali, le Sahara algérien, jusqu’à la nasse marocaine où il est resté bloqué quatre ans. Comme des milliers de migrants, il a été confronté au business des passeurs, au racket des douaniers, au travail forcé. C’est au Maroc que, refusant le statut de victime muette, il a fondé avec des compatriotes la première association de réfugiés congolais, l’Arcom, qui a été à l’origine de l’organisation de la défense et de la protestation contre les conditions indignes imposées aux réfugié-es. Cette association a créé au Maroc une maison de protection réservée aux femmes migrantes, doublement victimes de violences. C’est aussi là qu’il a entrepris son récit. En 2008, Emmanuel Mbolela a fini par obtenir l’asile politique aux Pays-Bas. [MD]

Emmanuel Mbolela, a dû fuir la République du Congo après la manifestation étudiante dont il a été l’un des principaux organisateurs à Kinshasa en avril 2002. Depuis, du Maroc à l’Europe, il a lutté pour déconstruire les stéréotypes liés aux migrant·es et contribuer à mettre en place des outils de solidarité.

Quinze ans après son départ de la République du Congo, Emmanuel Mbolela poursuit son combat en s’aidant de sa plume, grâce à son livre Réfugié qui a été édité en langue allemande en juin 2014, puis en français en janvier 2017 aux éditions Libertalia. Son récit entrepris en 2004 au Maroc et finalisé à Dordrecht (Pays-Bas) en 2014 relate en première partie le périple ordinaire d’un migrant qu’il résume ainsi dans son introduction : « En route vers l’Europe, comme tant d’autres, j’ai été dévalisé dans le désert, j’ai dû travailler au noir à Tamanrasset, me cacher durant des mois à Alger, puis franchir clandestinement la frontière entre Algérie et Maroc où je suis resté bloqué quatre longues années. »
Mais il n’en reste pas là ! « Au Maroc, la police poursuivait sans trêve sa chasse aux migrant.es et arrêtait sans distinction les sans-papiers et les demandeurs d’asile titulaires d’un récépissé, voire même les réfugié·es statutaires ! Et ce n’était pas le seul problème. L’accès aux soins dans les hôpitaux nous était refusé, même en cas d’extrême urgence. De même, les Ambassades des pays africains ne portaient pas secours à leurs ressortissants en détresse. Avec une dizaine de camarades, nous nous sommes battu·es sur tous les fronts pour nos droits. »
Il a fallu alerter les associations qui défendent les droits humains, le Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés, la Cimade (Comité inter-mouvements auprès des évacués), l’Église catholique, la Fédération protestante, Médecins du monde, Caritas… « Nous avons organisé des occupations de bureaux, manifesté, expliqué, négocié… Je ne suis pas resté les bras croisés pendant ces quatre années où j’ai été bloqué au Maroc », dit Emmanuel.

La solidarité entre migrant·es
Aujourd’hui, à travers ses conférences publiques et dans les établissements scolaires il fait passer des messages très simples et essentiels : par exemple que les migrant·es ne sont pas seulement des victimes, mais des femmes et des hommes capables de réfléchir à leur situation et de s’organiser. Le sens de la solidarité qu’elles développent joue un rôle essentiel. Les migrant·es forment un petit monde que personne ne connaît et qui protège des centaines de personnes. C’est entre 2004 et 2008 qu’Emmanuel a créé et commencé à développer l’Arcom (Association des réfugiés et demandeurs d’asile congolais au Maroc) pour changer le regard de ce pays sur les migrant·es.

Une maison de repos pour les femmes au Maroc
Dans son livre et dans ses conférences, il parle beaucoup des femmes, car il a pu constater au long de son périple à travers l’Afrique qu’elles étaient triplement victimes ; victimes à égalité avec les hommes, mais de plus, de la violence et de l’irrespect de leurs compagnons d’infortune, et chargées des enfants qu’elles assument le plus souvent seules. C’est pourquoi la première de ses actions dans ce Maroc inhospitalier qu’il a découvert a été la création d’une maison de repos pour les femmes, un lieu où elles vont pouvoir dormir sous un toit, trouver de l’eau, de la nourriture et une écoute, un accueil pour les enfants (une sorte d’école alternative), puis petit à petit apprendre elles-mêmes à lire et à écrire, rencontrer des familles marocaines, leur parler, se faire accepter…
Aujourd’hui, l’association Arcom qu’Emmanuel continue de présider et où il se rend chaque année loue trois appartements à Rabat, qui permettent de recevoir une trentaine de femmes. Trois personnes y assurent l’accueil et l’entretien. « Des structures d’accueil comme celle-là, il en faudrait dans toutes les grandes villes du Maroc, mais les frais de fonctionnement (qui s’élèvent déjà à 5 000 € par mois) nécessitent un travail de recherche de financement épuisant auprès de toutes sortes d’institutions : l’Union européenne, des ONG, le réseau Afrique-Europe-Interact, constitué début 2010 au niveau transnational. Le Forum Civique Européen, réseau international de solidarité qui organise des interventions directes avec de simples citoyens engagés, mettant ainsi en lumière des dysfonctionnements sociaux peu ou pas dénoncés. »

« En Afrique, manger seul, ça n’existe pas »
Le 1er avril 2008, Emmanuel découvre l’Europe. On lui avait proposé une place dans un programme d’installation en Hollande. L’accueil à Amsterdam a été bon, trois mois plus tard il a trouvé un logement dans un village touristique où il était le seul Congolais. C’était l’isolement total. Anonymat dans l’immeuble et dans la ville où chacun vit pour soi. « Difficile de manger. Manger seul, ça n’existe pas en Afrique. Au Maroc, cette convivialité existait. Les réfugiés, avec ou sans papiers, faisaient la cuisine ensemble et partageaient le repas (qu’ils aient pu participer à l’achat de la nourriture ou pas). »
Au bout d’un an, il essayera de faire venir des membres de sa famille. La première condition pour effectuer la demande est d’avoir un contrat de travail stable et de gagner un salaire supérieur au minimum garanti. Qui peut obtenir ça ?
Ensuite, des quantités de documents certifiés par l’ambassade des Pays-Bas à Kinshasa sont exigés. « Une première fois, cela m’a coûté 3 000 € et je n’ai jamais reçu les pièces validées. Envolées ! elles étaient soi-disant reparties par la valise diplomatique. Il a fallu recommencer toute la procédure. La deuxième fois, j’ai eu recours à une messagerie privée, cela a coûté 5000 € et la demande a été rejetée. Deux ans de démarches sans résultat ! »
Depuis, il a eu l’opportunité de s’engager au sein du réseau Afrique-Europe-Interact et d’effectuer des missions dans de nombreux pays. Ses voyages lui ont permis de constater que des centaines de millions étaient consacrés à ériger des défenses inutiles telles que frontières, murs, sans jamais soulever les vraies questions sur ce qui pousse des jeunes à mordre à l’hameçon de groupes terroristes. « Je fais mienne la phrase de Malala Tousafzai (jeune femme afghane) : “Avec les armes on peut tuer les terroristes, mais avec l’éducation on tuera le terrorisme.” »

Entretien avec Monique Douillet le samedi 20 mai au Centre culturel Boris Vian à Vénissieux où se tenait une conférence. Publié dans le mensuel Silence (octobre 2017).