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Des hommes et des bagnes, dans la Revue française de science politique

jeudi 21 janvier 2016 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Un article sur Des hommes et des bagnes paru dans la Revue française de science politique (RFSP) — numéro 65, décembre 2015.

L’histoire du bagne continue de s’écrire avec la publication de témoignages inédits – par exemple Alexis Trinquet, Dans l’enfer du bagne (Les Arènes, 2013) – ou devenus introuvables, comme celui de Jacob Law, Dix-huit ans de bagne (éditions de la Pigne, 2013). Les éditions Libertalia contribuent activement à ce mouvement. Elles ont réédité, en 2007 et 2014, le témoignage de l’anarchiste Eugène Dieudonné (La Vie des forçats, 1930), puis en 2009 celui de « L’incorrigible » Paul Roussenq (L’enfer du bagne, 1957). Elles participent, plus généralement, d’un intérêt renouvelé pour le bagne en ayant réédité en 2009 une œuvre de fiction, parue initialement en 1913, Chéri-Bibi. Les cages flottantes, qui se déroule en grande partie sur le navire qui transporte le héros-éponyme du roman-feuilleton de Gaston Leroux au bagne de Cayenne.

Avec Des hommes et des bagnes, les éditions Libertalia livrent cette fois un document inédit : le témoignage du Docteur Léon Collin. Retrouvé dans le grenier de la maison familiale par Philippe Collin, son petit-fils (qui signe un avant-propos), ce document est constitué de deux tapuscrits, de quelque 210 pages (Quatre ans chez les forçats et Fin de bagne en Nouvelle-Calédonie) dans lesquels le lieutenant-colonel en retraite a raconté, dans les années 1950, ce dont il a été témoin, entre 1906 et 1913, auprès des forçats de Guyane, puis de Nouvelle-Calédonie.

Plusieurs décennies et des événements dramatiques (les tranchées de la Première Guerre mondiale, la défaite de 1940 et l’occupation) se sont écoulés entre le débarquement en Guyane du jeune médecin de l’armée coloniale et l’écriture de son témoignage. Mais le texte laisse entendre un auteur conscient de son devoir de témoigner (parce que « les condamnés […] ne sauraient être crus », p. 249) et qui demeure bouleversé, évoquant son « impression de terreur, inoubliable » (p. 175). Le document est remarquable par la manière dont il réussit à donner de la chair au bagne. Le texte du Docteur Collin peut en effet se lire comme une formidable galerie de portraits, de bagnards anonymes et de quelques célébrités (Manda, Ullmo, Soleilland, etc.), que complète admirablement le travail prosopographique réalisé par les éditions Libertalia.

Le Docteur Collin décrit minutieusement les corps et leurs souffrances. Les descriptions qu’il dresse des malades – des paralytiques, des aveugles, des lépreux ou d’« un petit vieux, au visage cyanosé » (p. 234) – sont souvent terrifiantes. À ce regard du médecin, s’ajoute celui de l’esprit scientifique, qui calcule la moyenne d’âge des bagnards, leur espérance de vie ou le nombre de décès par semaine et qui relève, au passage, qu’il n’y a pas plus de 40 chemises pour les 110 hommes en traitement à l’infirmerie du camp Est (p. 240).

Si le témoignage du Docteur Collin ne prend pas la forme d’une dénonciation en règle du bagne comme on en lira plus tard (notamment avec les reportages d’Albert Londres réunis sous le titre Au bagne en 1923), il contient déjà tous les arguments contre la « guillotine sèche ». Certes, le Docteur Collin est un homme de son temps pour qui un type criminel se reconnaît dans des traits physiques. Mais, parce qu’il observe que ceux « dont on a rempli les bagnes » sont « des brutes, des anormaux, des atrophiés, mais aussi des malchanceux, sur la tête desquels pèse toute la faute de leurs ancêtres ou de leur milieu », il doute de leur utilité et en vient à conclure que « la peine de mort est encore préférable à la peine d’internement perpétuel » (p. 101).

Les éditions Libertalia, dont les ouvrages sont toujours illustrés avec soin, ont accompagné le texte du Docteur Collin de reproductions des carnets originaux et de nombreux clichés pris par l’auteur. La lecture de ce document historique unique, enrichie par la préface et l’appareil de notes réalisés par Jean-Marc Delpech, sera appréciée par celles et ceux qui, au-delà des chercheurs et des spécialistes, s’intéressent au bagne et à l’histoire des institutions punitives – et qui ne manqueront pas de guetter la publication annoncée par les mêmes éditeurs d’un récit depuis longtemps introuvable : celui du Docteur Rousseau, Un médecin au bagne, datant de 1930.

Gwenola Ricordeau Clersé, Université Lille 1