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Comment peut-on être anarchiste ? dans Le Monde libertaire

mercredi 20 mai 2015 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Paru dans Le Monde libertaire (7-20 mai 2015)

Une écriture mordante et radicale

Avec Comment peut-on être anarchiste ? Claude Guillon donne à lire, presque in extenso, ce qu’il a écrit pendant ces quinze dernières années ; textes repris de différents journaux, de revues, de tracts, ou simplement mis en ligne par ses soins ; les références multiples semées dans ce livre permettront aux plus curieux de prendre connaissance de nombreux autres ouvrages seulement écartés pour alléger ce déjà gros volume.
Claude Guillon, pensons-nous, sans doute à tort, est essentiellement connu du grand public pour Suicide, mode d’emploi, ouvrage − qui fit scandale − écrit avec Yves Le Bonniec et qui donna lieu à procès. Rappelons pour l’humour qu’il était conseillé au lecteur suicidaire, avant de passer à l’acte, de « faire le tour du monde en 8 880 jours » et aussi « de ne pas rester sur sa fin » (sic).
Dans Comment peut-on être anarchiste ? nous voudrions retenir, entre autres sujets d’actualité sur lesquels l’auteur aiguise ses dents, une critique sans concession de l’expression écrite d’un Chomsky (réformiste), d’un Brossat (hyper-radical en théorie mais qui accouche d’une approbation des lois en vigueur), de l’expression radiophonique d’« Onfray-mieux-d’se-taire » ou de l’expression physique des jeunes femmes aux seins nus (les Femen) armées de leur « déplorable goût » pour de la publicité ; critique qui entraîne souvent notre auteur sur le chemin de la polémique. Mais Claude ne craint jamais le conflit verbal ou écrit ; encore moins de s’alarmer quand il choque son lecteur en lui rebroussant le poil.
Claude Guillon se déclare révolutionnaire et communiste libertaire ; ce qui explique aussi sa charge contre les bonnes âmes d’Attac (l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne) qui s’habillent des « oripeaux de la radicalité » dans un monde où « la faiblesse actuelle de l’idée révolutionnaire » est affligeante. Et, si la gauche réformiste au pouvoir a montré quelque chose, c’est bien son impossibilité à réformer le capitalisme. D’ailleurs, à propos d’électoralisme, Guillon déclare avec énergie : « Les urnes sont funéraires, la vraie vie se décide ailleurs ! »
Mais nous aimerions surtout attirer l’attention du lecteur sur une particularité de notre auteur, une habitude, une manière militante d’être quand il accompagne physiquement toutes les grandes « émotions » du peuple, quand il participe à toutes les grandes manifestations de rue de notre époque. Et, plongé dans la foule, il développe une analyse très lucide des situations.
Aussi ne sommes-nous pas surpris qu’un de ses engagements subversifs favoris soit la distribution de tracts pendant ces déploiements populaires ; tracts au demeurant rien de moins que succincts.
De plus, il ne craint pas, lui si soigneux du souvenir et qui a fait le choix d’étudier en bibliothèque les « enragés » et les émeutes de la Révolution française, de rapprocher tous ces moments d’agitation anciens du temps présent.
À l’écoute, attentif, il tente de ne pas être oublieux d’« une infinité d’informations qui n’ont pas été collectées sur le moment ».
En effet, les recherches historiques de Claude Guillon sur la Grande Révolution et ce qu’il avance sur les révolutions à venir − qui seront sans modèle − sont là, nous semble-t-il, ce qu’il y a de plus original dans sa pensée en construction.
Par ailleurs, dans un tract de quatre pages, « Qu’est-ce qu’une révolution communiste et libertaire ? », distribué lors des manifestations lycéennes de mai 2002, puis repris en ligne et en revue, Claude Guillon, à propos de la violence, nous dit qu’elle est d’abord l’expression du monde capitaliste. Mais il ajoute :
« Dans une société techniquement développée où peuvent être mises en œuvre de nombreuses techniques de sabotage (informatique notamment), qui ne nécessitent pas ou très peu de violence physique, les meilleures chances sont réunies de paralyser le système en faisant moins de victimes humaines que les accidents de la route un week-end de Pâques. »
Et, bien qu’il ne soit pas opposé à toute contre-violence, nous ne sommes donc pas trop surpris de lui voir mentionner la notion de « non-violence active » qui n’est donc pas, pour lui, contradictoire avec une pensée radicale. On en déduira que l’auteur ne ménage aucun effort intellectuel pour imaginer un projet révolutionnaire cohérent :
« La geste révolutionnaire sera d’autant plus belle qu’elle fera moins de victimes, y compris parmi les salauds indiscutables. »
Il écrit encore :
« Pour une organisation politique, le caractère inutile ou contre-productif d’une action la rend illégitime. »
Sa réponse à Gérard Coupat (le père de Julien Coupat, celui qui fut accusé d’avoir voulu saboter une ligne de chemin de fer), qui l’invitait à l’Assemblée nationale pour un colloque consacré au « bilan de vingt-cinq ans de lois antiterroristes » (sic), est plus que bienvenue. Car la proposition n’était nullement un canular, sans doute une forme désinvolte d’ironie…
De même, on appréciera son « Je ne suis pas Charlie » :
« Sachant que la France est en guerre, je n’éprouve pas le même étonnement que beaucoup de Charlie à apprendre qu’un acte de guerre a été commis en plein Paris… » ; une guerre « permanente et tournante » qui se déploie − en notre nom − en différents pays du monde et une action guerrière qui a suscité l’écœurante « union sacrée » que l’on sait.
Il y a peu de ses points de vue qui n’apportent pas notre adhésion, aussi nous étonnons-nous d’une légère réticence de notre part à lui emboîter quelquefois le pas. Pourquoi ? Une tonalité ? Une posture ? Une assurance trop orgueilleuse ?
Qu’importe ! À chacun son style ! À chacun sa voix ! Notre lutte a besoin du concours de tous et de la diversité du discours.
« Rien n’est donné, rien n’est acquis, voilà bien la seule règle de conduite, d’ailleurs commune au mouvement des femmes et au mouvement révolutionnaire ».

André Bernard