Le blog des éditions Libertalia

Christophe Naudin dans L’Humanité Dimanche

mercredi 18 novembre 2020 :: Permalien

— REVUE de PRESSE —

Publié dans L’Humanité dimanche, samedi 14 novembre 2020.

« Moi, Christophe Naudin, prof d’histoire et rescapé du Bataclan »

Le 13 novembre 2015, il a survécu. Enseignant en collège et historien, il vient de publier le carnet de bord qui l’a aidé à tenir le coup après l’horreur. Un document intime, brut et politique.

Une minute avant le cauchemar, Christophe Naudin prenait en photo la scène du Bataclan, où se produisait le groupe Eagles of Death Metal. Il était 21 h 44. L’instant d’après, les terroristes avaient envahi l’espace, et mitraillaient la foule, dans la fosse. C’était le 13 novembre 2015, il y a donc cinq ans.

Christophe Naudin a trouvé refuge dans un cagibi, placé à droite de la scène. Son ami David a survécu lui aussi. Mais le troisième compagnon de cette petite bande, Vincent, est mort, sans doute parmi les premières victimes. Pendant plus de deux heures, Christophe Naudin est resté enfermé dans ce réduit, entassé avec des inconnus, dans la crainte d’être découvert à tout moment. Il en a été tiré, une fois les terroristes neutralisés, par la police. Il a fait l’effort de ne pas regarder autour de lui, mais certaines images intolérables se sont quand même inscrites sur sa rétine et dans sa mémoire. Comme ces morceaux de cervelle, comme ces corps sur lesquels il a dû marcher. Pourtant, quand il est rentré chez sa mère, ce soir-là, Christophe Naudin a mangé des pâtes et bu du vin, en ayant conscience d’avoir vécu l’horreur, mais sans comprendre encore à quel point ces deux heures avaient changé sa vie.

Faire face aux séquelles

Pour tenter d’y voir clair, et remettre de l’ordre dans son esprit et dans sa vision du monde, il a tenu un journal, dont il publie de larges extraits aux éditions Libertalia. Professeur d’histoire-géographie et d’éducation morale et civique dans un collège du Val-de-Marne, en région parisienne, Christophe Naudin a étudié et écrit sur l’islam au Moyen Âge et les usages politiques de l’histoire (Charles Martel et la bataille de Poitiers. De l’histoire au mythe identitaire, Libertalia 2015, et Les Historiens de garde, de Lorànt Deutsch à Patrick Buisson, Inculte 2013, Libertalia 2016). Son journal raconte sa reconstruction, ses coups de gueule contre la classe politique et les médias.

Au départ, il y a ce besoin de coucher les mots sur le papier. La souffrance liée à la perte de son ami. Les douleurs physiques, sa claustrophobie depuis l’attentat. La crainte, le désespoir et l’impuissance qui rejaillissent à chaque attentat, à chaque assassinat revendiqué par Daech. En relisant régulièrement son journal, il s’est rendu compte aussi qu’il a fait de gros progrès, y compris dans sa colère. D’où la décision de le publier, « en le recontextualisant avec une postface », nous explique-t-il au téléphone. Pour partager, « afin de savoir ce que les autres victimes en pensent, et aussi montrer aux non-victimes, aux proches de victimes et aux autres des choses qu’(il) ne pourrai(t) pas formuler. Avoir des retours, même si tout ne sera pas bien compris. Certains (lui) ont déjà dit qu’(il) étai(t) un peu brutal, injuste ».

Comme si on pouvait être « juste » ou « équilibré » dans ses propos après avoir traversé une épreuve pareille, particulièrement dans un journal intime où on ne prend pas de gants avec les autres et rarement avec soi-même. C’est vrai, Christophe Naudin y va franchement. Comme il l’écrit dans sa postface, il n’est pas dans la logique « comprendre c’est pardonner, loin de là. (Il) n’(a) aucunement l’intention de pardonner, même si (…) (il) n’(a) jamais ressenti que du mépris, pas de la haine, envers les terroristes. (Il) ne pardonne pas non plus à ceux qui instrumentalisent les attentats ». Il le répète aussi à l’envi : « S’il ne faut pas écarter les raisons sociales, psychologiques et surtout politiques qui motivent plus ou moins les terroristes, il faut absolument tenir compte des motivations religieuses, d’une vision du monde et de l’au-delà qui n’est pas un refuge, encore moins un prétexte, mais un point, voire LE point fondamental de cette idéologie djihadiste. Tout s’imbrique, la vision religieuse cristallise l’ensemble et offre le point d’aboutissement, la motivation du passage à l’acte extrêmement ritualisé. » Les terroristes sont dans une extrême droite qui n’est pas nommée, et ça le dérange. Il déteste tout ce qui fractionne la société, la divise. Il s’est aussi désabonné de Charlie Hebdo, après un long compagnonnage, parce qu’il ne se retrouve plus dans la ligne éditoriale de l’hebdomadaire satirique, même s’il ne supporte pas certaines critiques infondées qui lui sont faites.

L’école, une cible de choix

Son journal s’ouvre le 5 décembre, trois semaines après l’attentat, pour se clôturer trois ans plus tard, le 16 décembre 2018. Il démarre par une réflexion qui fait froid dans le dos, à la lumière de l’assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre dernier : « Après avoir visé des lieux festifs et de “perversion”, Daech voudrait à présent s’attaquer aux enseignants », écrit-il alors. Pour ces dingues très politiques, si l’on veut saper les fondements de la société française, l’école est une cible de choix, écrit en substance le professeur. Forcément, cette nouvelle attaque donne au livre « une résonance particulière », comme le reconnaît l’auteur.

Quand la nouvelle du meurtre de Samuel Paty est tombée, il n’a pas voulu « creuser ». Il est allé au cinéma avec sa compagne voir « Drunk, l’histoire d’un prof qui se bourre la gueule toute la journée avec ses élèves ». Il a réussi, ce qui est nouveau, à tenir cette actualité horrible à distance jusqu’au lendemain matin, jusqu’au journal qu’il est allé acheter. Et il a commencé à « somatiser ». « Ça m’arrive toujours quelques semaines avant les commémorations. J’ai principalement des maux de tête, je suis très fatigué. Là, j’ai eu tout ça, mais en plus fort. Avec ma compagne, professeur de lettres, nous avons eu un moment de sidération, mais ça ne nous a pas surpris, parce que la menace était là », dit-il, la gorge nouée.

Et pourtant, si ce genre d’actualité le plonge dans la douleur, Christophe Naudin va mieux. Grâce à sa compagne, rencontrée depuis l’attentat. Grâce au soutien de sa famille, de ses collègues. Mais aussi grâce à ses élèves. Qui avec « beaucoup de pudeur » l’ont soutenu, et le portent. Oui, certains sujets sont difficiles à aborder. Mais il sait aussi, par expérience, que les collégiens « ont besoin de parler, d’échanger avec les profs ». Après la mort de Samuel Paty, mais aussi, plus globalement, pour grandir.

Entretien réalisé par Caroline Constant